LES EXCENTRIQUES
FERNAND FLEURET - INTRO ET SOMMAIRE
 
Fernand Fleuret
- X -
Chevalier de Percefleur

 
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"La Satyre de moeurs est née,
cette soeur hilare de Pantagruel
qui se façonne des poupées à l'image des glorieux,
des fâcheux, des courtisans, des cagots et des ruffiannes."

Fernand Fleuret, De Ronsard à Baudelaire.


Dans les années 20, Fernand Fleuret confirme qu'il est "le plus jeune, le plus spirituel de nos érudits" (Gabrielle Réval, La Vie, juillet 1923). Multipliant les collaborations avec les journaux les plus divers, il donne aussi bien donnant des notes de lecture à la Nouvelle Revue Française qu'un article sur les manuscrits de Casanova à la Gazette du Franc de Marthe Hanau! Impliqué dans la vie littéraire de son temps, il participe aux bruyantes réunions des "Vikings" en compagnie de Pierre Mac Orlan. Ce groupe se réunit au Restaurant le Viking pour décerner un des innombrables prix littéraires de l'époque. Le prix des Vikings récompense notamment, grâce à l'insistance de Fleuret, son ami Ch. Th. Féret. Les deux hommes se retrouvent au sein de la Muse Française, un groupe de poètes qui défend l'unité de la poésie française et la prosodie traditionnelle et qui compte dans ses rangs Alexandre Arnoux, Francis Carco ou Tristan Derème.
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Illustration de Chas Laborde
pour "La Naïade", 1935
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Mais surtout il poursuit ses travaux d'érudition et, sous divers pseudonymes, continue de publier des ouvrages destinés aux amateurs de curiosités et aux bibliophiles. En 1920, la "Bibliothèque des curieux" des frères Georges et Robert Briffaut réédite dans la collection du "Livre du Boudoir" un livre au titre surprenant Mémoires de l'Abbé de Choisy, habillé en femme, avec des notes et une bibliographie par le Chevalier de Percefleur. Contre toute vraisemblance l'abbé Choisy n'est pas une invention de Fleuret.
Prêtre, diplomate, académicien et travesti notoire, François Timoléon de Choisy (1644-1724) fut aussi grand joueur que voyageur. Il nous a laissé, outre une Histoire de l'Eglise en onze volumes, deux livres, aussi agréables que passionnants, qui témoignent de sa vie aventureuse : Journal du voyage de Siam et Aventures de l'abbé de Choisy habillé en femme. Ayant perdu sa mère, l'abbé "se retira en province sous le nom de comtesse des Barres, acheta le château de Crépon, aux environs de Bourges, et devint une femme à la mode. Les mamans lui confiaient leurs tendrons, qu'il mettait à mal le plus gentiment du monde." Il raconte dans les Mémoires ces aventures, qui sont "d'agréables récits d'abus de confiance, dans la langue d'un écrivain de premier ordre."
Le Chevalier de Percefleur, lui, est attaché d'ambassade à Constantinople et membre correspondant de "l'Académie des Dames". Mieux encore, il serait un "orientaliste et bibliophile distingué" qui "mit fin à ses jours en 1855, au cours d'une aventure singulière, dans le harem même du Sultan". Ayant eu "la bonne fortune" d'acheter la collection d'ouvrages érotiques du Chevalier, le "Livre du Boudoir" les réédite, accompagnés des notes que le Chevalier "écrivait en marge de ses livres favoris". Il va sans dire que, dans ce jeu de masques littéraires à la Pessoa ou à la Borges, l'érudition et l'esprit du Chevalier de Percefleur appartiennent à Fernand Fleuret, aidé par son compère Louis Perceau. Plus que le désir de préserver une réputation déjà bien malmenée, le procédé trahit chez Fleuret celui de se déguiser, d'échapper à lui-même et à son époque, de vivre à son goût. La métamorphose est si réussie, le pastiche si convaincant que le critique du Mercure de France regrette "que le Chevalier de Percefleur ne nous donne pas ses propres mémoires!". Mais Fleuret ne prêtera de nouveau sa plume au correspondant de "l'Académie des Dames" que pour la présentation de la réédition d'un conte libertin de Simon Coiffier de Moret.
Par ailleurs, il poursuit ses efforts pour exhumer de l'oubli les poètes satiriques français. Le caractère libertin de leurs oeuvres lui sert d'argument commercial auprès des frères Briffaut. Ceux-ci prennent d'ailleurs soin d'imprimer sur les couvertures de leurs livres "satyriques".
Fleuret reconnaît volontiers la "licence de nos satiriques" : "L'idée que l'on se faisait de la Satire selon l'étymologie communément acceptée après tout, peut-être la bonne, Satyra, au lieu de Satura, "parce que, dit Vauquelin de la Fresnaye, les vers alloient et sautoint d'un vice à l'autre, suivant la coutume des Satyres". L'image des Satyres impliquait leur lascivité, et l'on entendait que la Satire s'exprimât dans un style bas et commun à l'exemple des compagnons de Bacchus, qui, barbouillés de lie et titubant d'ivresse, raillaient grossièrement les vendangeurs de Nysée." Mais, selon lui, le genre "ne saurait être absolument dédaigné des moralistes. C'est qu'inspiré par un obscur instinct, il s'attaque en général à la laideur, et que le sentiment de la beauté confine à quelque idée morale."
En 1920, la "Bibliothèque des Curieux" inaugure une "collection des Satyriques Français" avec les Oeuvres Satyriques complètes du sieur de Sigogne. Gageons que les amateurs d'érotiques durent être désappointés par ce livre savant de 360 pages. Fleuret qui en a rédigé les notes historiques et critiques se délecte des aventures de "René de Beauxoncles, Chevalier, Seigneur de Sigogne, Rocheux, Les Rivaudières, l'Archerie, Aulnay, Vieuvic et autres lieux, Capitaine de deux cents hommes de pied des Vieilles Bandes du Piémont, Chambellan de France et de Pologne". De ce courtisan "qui conservait le parler des camps et des corps de garde", Fleuret ne prétend pas faire un poète majeur. Il reconnaît volontiers que Sigogne "médit par plaisir, sans grandes intentions morales", mais il admire "sa langue comique, la plus nourrie, la plus extraordinaire" et son goût pour un vocabulaire démodé ou provincial.
D'un point de vue littéraire, Fleuret prend fait et cause pour les Baroques contre les Classiques, et regrette leur défaite face aux "écoliers de Malherbe", une de ses bêtes noires. Pour lui, si Mathurin Regnier n'était pas mort prématurément, "la vieille tradition française, victorieuse de Malherbe, eût marqué plus énergiquement son empreinte sur le dix-septième siècle." En ces hommes à l' "imagination grotesque et débridée", Fleuret voit les précurseurs des auteurs contemporains qui, comme Marcel Schwob ou Pierre Mac Orlan, se réclament de la Fantaisie.
On peut aussi penser que Fleuret l'indiscipliné, l'admirateur de Casanova, se sent des affinités avec ces poètes, souvent débauchés et dissipés, bretteurs et soudards, libres de ton et d'esprit. En 1922, il tire de l'obscurité le dernier des "satyriques", Claude d'Esternod. La "Librairie du Bon Vieux Temps" publie l' Espadon satyrique, par celui que Fleuret présente comme "un des poètes les plus curieux et les plus vivants de son époque (...) d'un pittoresque coloré et d'une éloquence chaotique, qui atteint parfois à la grandeur". On y trouve une tirade des nez autrement vigoureuse que la version édulcorée de Rostand :

"Nez qui pourroit servir d'espouvantail très digne,
A chasser les oiseaux qui se jettent en vigne;
Nez d'argent de rapport, damasquiné, grand, long,
Nez de courge, concombre ou citrouille, ou melon;
Nez qui sent sa vendange, et, superbe en son membre,
Semble crier partout : purée de septembre!
(...)
Nez enfin qui n'est pas un crocheteur de fesse,
D'autant que tous les trous ont trop de petitesse."


Des rayonnages de la Bibliothèque nationale, Fleuret exhume aussi un texte de Ronsard, daté de 1553, le Livret de Folastries, et l'année suivante la Bouquinade et autres Gaillardises. C'est l'occasion de saluer en Ronsard le rénovateur de la poésie française. Rénovation qu'ont permis "le goût, le génie véritable, l'instinct qui ramenaient Ronsard au style élevé des Grecs". Car, pour FLeuret, tout art moderne passe par la connaissance de l'art ancien : "Il serait profitable de se retremper dans le XVIe siècle comme à la source de la poésie moderne, de même que Victor Hugo reprit le vers de Ronsard et d'Agrippa d'Aubigné, et que Delacroix réapprit à peindre en étudiant le Tintoret."
En Ronsard, Fleuret admire aussi un homme dégagé de l'esprit de parti : "Courtisan, il n'a pas ménagé les courtisans. Monarchiste, il a osé écrire contre les favoris d'Henri III et le roi lui-même (...)Catholique, il n'a pas ménagé les prélats; mais il n'a pas non plus applaudi à la Saint-Barthélemy, ni insulté, comme Baïf, le cadavre de l'Amiral; enfin il se réconcilia avec ceux qui l'avaient le plus injurié." Et il se retrouve dans l'attitude du poète vis-à-vis de la religion : "Païen par tempérament, païen par culture, Ronsard considérait pourtant le catholicisme, ami des fables et de la pompe mondaine, comme la seule institution de tolérance dont sa riche imagination pût s'accommoder."
Certains académiciens et universitaires, corporations que Fleuret n'a pas épargnées, s'offusquent cependant qu'on mette sous les yeux du public des textes aussi légers, bien différents des poèmes du Ronsard qu'on enseigne aux enfants des écoles. On chasse donc Fernand Fleuret du comité chargé des préparatifs de la commémoration du quatrième centenaire de la naissance de Ronsard, et on raie son nom de la liste des artistes qui doivent à cette occasion recevoir la Légion d'Honneur. Seul à prendre la défense de Fleuret, l'éditeur A.P. Garnier publie en riposte le Triomphe du Pin de Bourgueil, poème de circonstances que Fleuret a rédigé, en hommage à Ronsard, dans la langue du XVIe siècle. Le poète a poussé le tour de force jusqu'à rédiger en alexandrins l'achevé d'imprimer :

Ce livre fut tiré le vingt six de ce mois
De Mai, qu'on voit la tourtre et son mari s'ébattre,
L'An des gais compagnons Mil neuf cent vingt et quatre,
Par les bons artisans de Maître Desfossés,
Dignes d'Alde Manuce et des siècles passés.
Ami, si leur travail a pu te satisfaire,
Va porter ta copie au Treize Quai Voltaire.

Un an après, Fleuret enfonce le clou en publiant un recueil de textes érotiques : Les Amoureux Passe-Temps, ou choix des plus gentilles et gaillardes inventions des XVIe et XVIIe siècles depuis Ronsard jusqu'à Théophile. La préface qu'il adresse au lecteur s'en prend une nouvelle fois à l'Université et à l'Académie : "Je n'ai pas choisi (...) le Ronsard pindarique et pétrarquiste, celui qu'on t'enseigne si mal sur les bancs, mais un Ronsard gaulois que tu connais encore moins, sans doute. Ainsi te révèlerai-je du même coup toute une poésie gaillarde et folâtre que tes maîtres n'ont eu cure de t'apprendre parce que tu n'avais pas atteint l'âge d'homme, et aussi parce qu'ils ne la connaissent point."
Les efforts de Fleuret pour réhabiliter les Satiriques culminent avec la publication de deux anthologies chez Garnier frères : les Satires Françaises du XVIe siècle en 1922; les Satires Françaises du XVIIe siècle en 1923. Elles regroupent des auteurs et des textes d'un accès difficile et bien souvent inconnus. Henri de Régnier estime à sa juste valeur ce travail considérable : "Ces quatre volumes sont extrêmement précieux par les extraits fort bien choisis des Poètes satiriques français qu'ils nous présentent et qu'accompagnent d'excellentes notices biographiques et littéraires, abondamment documentées en leur substantielle concision. Dans l'énorme production satirique française, M. Fernand Fleuret est un guide admirablement renseigné." (Le Figaro, 8 mai 1923)


© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - Mars 2003)

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