LES EXCENTRIQUES
ARTHUR CRAVAN - INTRO ET SOMMAIRE
Arthur Cravan
Maintenant
Revue

 

MAINTENANT (all rights reserved)
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FABIAN LLOYD
VOYAGE
PEINTURE
MAINTENANT
POESIE
BOXE
AMOUR
GUERRE
CALACA
VIVANT

 

REVUE  LITTÉRAIRE

"Je préfère de beaucoup, par exemple, la boxe à la littérature."

L'idée de créer une revue travaille Arthur Cravan depuis 1908. A l'époque, sa mère juge le projet avec sa bienveillance habituelle: "Quant à la revue, bien entendu, si Fabian décide de faire des folies avec son argent, nous nous retirons de lui aider au point de vue argent." (Lettre à Otho Lloyd)

Mais en 1910, outrée qu'à Paris son grand fils fréquente une femme, Renée, qu'elle considère comme une garce, Nellie Lloyd lui coupe les vivres: "Je ne lui donnerai plus les 60 Fr. par mois de nous trouvant qu'il est trop dispendieux; et comme il ne veut plus rien de moi, je le prends au mot. " (Lettre à Otho Lloyd). Elle confisque même le carnet de chèques de son fils, sinon "tout son argent sera boulotté par lui et la Renée en moins de rien." Devenu pauvre, Cravan a désormais les mains libres.

Le premier numéro de "MAINTENANT, revue littéraire" paraît en avril 1912. Pour une somme de 25 centimes le sommaire offre:

SIFFLET: poésie
Documents inédits sur Oscar Wilde
Différentes choses

Ce premier numéro représente bien ce que sera le contenu des cinq livraisons de la revue, avec son extraordinaire mélange de polémique et de poésie, de lyrisme et d'agressivité, de confession et d'imposture, et mérite qu'on s'y arrête.

"SIFFLET" célèbre "l'audacieuse modernité" et la poésie des transatlantiques, des steamers de 4000 tonnes, des locomotives héroïques et des tramways du matin. Le poème n'oppose pas nature et machine; il ne choisit pas entre elles. Bien au contraire Cravan met en parallèle l'énergie, l'élan vital de l'une et de l'autre et les associe dans la même imagerie: "Je possède également ma première locomotive / Elle souffle sa vapeur, tels les chevaux qui s'ébrouent". Enfin, il y évoque en un cri son Eldorado: "New York! New York! Je voudrais t'habiter!".

Les "Documents inédits" sont signés par un mystérieux W. Cooper. Il suffit de lire le portrait qu'il trace d'Oscar Wilde pour se persuader qu'il s'agit là d'un des nombreux pseudonymes de Cravan. Bien plus, les traits et attitudes attribués à Wilde, dont la "présence, du reste, dans un salon, seule et muette, remplissait tout", rappellent furieusement Cravan, "son énorme masse, ses yeux vides de regard" (Mina Loy, "Colossus") et la fascination que, selon Gabrielle Buffet, il exerçait: "On aurait voulu connaître ses exploits, mais il parlait peu en général." Oscar Wilde, comme W. Cooper, est un masque de Cravan.

"Différentes choses" résume en trois brèves les positions esthétiques du poète -pugiliste:
"Nous sommes heureux d'apprendre la mort du peintre Jules Lefebvre.
Le 3 avril, au Cirque de Paris, le Nègre Gunther et Georges Carpentier se rencontreront dans un beau match de boxe.
Le bruit que fait Marinetti est pour nous plaire car la gloire est un scandale."

La revue, avec son mauvais papier, sa présentation sans recherche, ne paie pas de mine. André Salmon l'évoque dans ses "Souvenirs sans fin": "Arthur Cravan fonda une petite revue: Maintenant. Format menu, papier quelconque sinon choisi, exprès, le plus moche possible, présentation mesquine, sans aucune recherche typographique. mais des affiches aux murs de Montparnasse et de Montmartre, et aux portes des Salons de peinture. Infernal touche-à-tout, Arthur Cravan pouvait bien se passer de collaborateurs. en pouvait-il rechercher, accueillir, supporter?"

Le sommaire de "Maintenant" mentionne Arthur Cravan comme directeur et donne pour adresse celle de son appartement 67 rue Saint Jacques. En fait, Cravan constitue à lui seul toute l'équipe de la revue, depuis la rédaction jusqu'à la diffusion. W. Cooper, Edouard Archinard, Robert Miradique et Marie Lowitska sont des collaborateurs fantômes, des avatars de Cravan.

Exception à la règle, Ernest Lajeunesse, dont deux dessins représentant Wilde figurent dans le n°2 de "Maintenant", existe réellement. Journaliste et chroniqueur, il a connu Oscar Wilde et son nom sert de caution à un des textes les plus extravagants de Cravan: "Oscar Wilde est vivant!". Cravan y ressuscite tout bonnement son oncle fameux: "Je vais vous raser et vous mener dans les bars; là je ferai semblant de vous perdre, et je crierai très fort: "Oscar Wilde! viens prendre un whisky." Vous verrez que nous serons étonnants!"

Cravan écrit donc la totalité des textes, se chargeant même des encarts publicitaires. Le poète - publiciste, qu'il vante la Seccotine, les automobiles Mercédés ou le restaurateur Jourdan, adopte un ton très personnel:

"Que faut-il au poète?
Une bonne nourriture.
Où peut-il la trouver à bon marché?
Chez Jourdan
10 rue des Bons-Enfants 10"

Encore plus fort! équipé d'une charrette à bras comme en poussent les marchands de quatre-saisons, il se charge lui-même d'aller vendre sa revue à la criée sur les boulevards, à l'entrée des restaurants ou des expositions. Un geste qui témoigne qu'il refuse autant les conventions et usages du milieu artistique que de la bonne société.

Cravan ne prend rien au sérieux, et surtout pas lui-même. N'annonce-t-il pas un prochain numéro de sa revue en ces termes désinvoltes:

"Pour paraître dans un ou deux mois, MAINTENANT n°5,
Où l'on verra Arthur Cravan en progrès
100 grammes, 1 prosopoème, 1 conte en vers, 3 proses"

De quoi ravir André Breton: "En haine des librairies étouffantes où tout se confond et, à l'état de neuf, déjà tombe en poussière, Cravan pousse devant lui le stock des exemplaires de Maintenant dans une voiture de quatre-saisons: le numéro vingt-cinq centimes!" ("Anthologie de l'Humour Noir")

L'expérience de libraire d'Arthur Cravan avait, en effet, été pour le moins brève et violente: "Ayant trouvé un petit emploi chez Brentano's, il envoya tous les livres à la tête de sa première cliente parce qu'elle s'était permis de dire: "Allons, allons!" alors qu'il s'escrimait à ficeler la commande. (...) et il planta tout là." (Mina Loy, lettre à Julien Levy).

Le dernier numéro de "Maintenant" paraît en avril 1915. Il coûte 50 centimes et s'achève sur cette promesse:

" MAINTENANT numéro 6
à lire dans un an
Les tricots atmosphériques de la morte à Tahiti .... poésie."

En avril 1916, Arthur Cravan est à Barcelone et affronte sur le ring le champion du monde poids lourd Jack Johnson...

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - octobre 1998)

MAINTENANT

 

 

 
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