LES EXCENTRIQUES
ARTHUR CRAVAN - INTRO ET SOMMAIRE
Arthur Cravan
Maintenant
Scandale

 

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FABIAN LLOYD
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AMOUR
GUERRE
CALACA
VIVANT

 

SCANDALES

"J'ai toujours essayé de considérer l'art comme un moyen et non comme un but."

Dans le premier numéro de "Maintenant" Cravan pose en principe que "la gloire est un scandale". Et il tient précisément, avec cette revue qu'il fabrique de A à Z, une vraie machine à scandale.

Sa première victime, André Gide, est mise k.o. en un round. Que lui reproche Cravan? d'avoir écrit un an après la mort d'Oscar Wilde: " Il faut bien le reconnaître: Wilde n'est pas un grand écrivain."

Pour Cravan la cause est entendue. Gide s'en prend au père spirituel que le poète - pugiliste s'est choisi contre le père naturel qui l'a abandonné. Il médit de cet oncle que Cravan n'a jamais connu mais qu'il admire parce qu'il est la honte et le déshonneur de la famille. Ce faisant, il se range dans le camp des philistins, des bourgeois, des hypocrites.

En juillet 1913, le numéro 2 de "Maintenant" met en scène Cravan rendant visite à l'auteur des "Nourritures Terrestres": "Je devrais aller voir Gide, il est millionnaire: Non quelle rigolade, je vais rouler ce vieux littérateur." Cravan rêve en effet d'une fortune malhonnête et a décidé de séduire le romancier par ses épaules, sa beauté et ses excentricités afin de pouvoir lui extorquer, par ses "caprices d'enfant moderne", jusqu'à son dernier sou.

Cravan saccage d'abord le décor absurdement bourgeois de l'appartement du grand homme: bonne, roquets bruyants, vitraux, tapisserie, et "une minutie très protestante dans l'ordre et la propreté".

Puis il attaque à Gide lui-même, en dresse un portrait cruel qui oppose implicitement la grandeur et le génie du maître, Oscar Wilde, à la médiocrité absolue du disciple félon, André Gide.

Oscar Wilde "avait l'air d'un éléphant". André Gide n'a l'air "ni d'un éléphant, ni de plusieurs hommes: il a l'air d'un artiste.", insulte suprême dans la bouche de Cravan. Oscar Wilde était un poète dans ses écrits. Gide, lui, n'est qu'un "prosateur qui ne pourra jamais faire de vers." Wilde vivait sans retenue, en prodigue. Tout chez Gide montre "qu'il se soigne méticuleusement, qu'il est hygiénique et qu'il s'éloigne d'un Verlaine qui portait sa syphilis comme une langueur".

A côté d'Oscar Wilde le géant, André Gide n'est qu'un misérable avorton, une petite nature, qui n'a même pas le bon goût de préférer la boxe à la littérature. Et dont Cravan affirme d'ailleurs n'avoir jamais lu une ligne.

Prudent, Gide ne réagira pas. Déçu, Cravan le traitera dédaigneusement de "vieux grippe-sou" et d' "abruti" avant de se mettre en quête de nouveaux adversaires, plus combatifs. Il faut en effet pour réussir un beau scandale être deux, comme pour un match de boxe.

La réaction à la quatrième livraison de "Maintenant", (mars-avril 1914), consacrée à l'Exposition des Indépendants, ira au-delà de ses espérances puisqu'elle lui vaudra bagarre publique, menace de duel, emprisonnement, et son nom dans les journaux.

Cravan, qui affirme que celui qui écrit sérieusement une ligne sur la peinture est un con, endosse pour rendre compte du salon des Indépendants sa personnalité de "critique brutal". Il tombe sur les "sales gueules d'artistes" à bras raccourcis, les rosse, les étrille. Il n'épargne personne, traite Chagall de chacal, Suzanne Valadon de vieille salope et trouve même l'occasion de moquer au passage "la couverture des livres de M. Gide".

Mieux encore, il s'offre le luxe de narguer ses victimes en venant vendre sa revue à l'entrée de l'exposition, "comme un simple camelot. Tous les visiteurs s'empressaient de lui acheter et la lisaient sur place en pouffant." (Gabrielle Buffet, "Rencontres")

Pour les peintres exposés, le ridicule devient intolérable. Une douzaine d'entre eux se sentent assez résolus pour tenter une sortie contre l'énergumène. Bagarre générale d'où il ressort 1- que la sagesse populaire se trompe: le nombre ne fait pas la force, et 2- que Cravan a raison: "la première condition pour un artiste est de savoir boxer." Mais la troupe des peintres mise en fuite reçoit le renfort de la flicaille qui embarque manu militari le critique d'art et boxeur.

Condamné en correctionnelle, Cravan écope de huit jours de prison ferme et un franc d'amende. Sa mère en est toute retournée: "Moi, j'éprouve une honte et un dégoût d'être la mère d'un tel goujat. (...) Je le compare à des apaches genre Bonnot.", Mais Cravan s'en moque: sa gloire est faite.

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Marie Laurencin
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Déjà on pétitionne pour qu'il soit acquitté en appel. Et, dans la presse, on polémique à son propos. Gaston Thiesson écrit: "Cette année la critique des poètes fut knocked out. Un boxeur fit vendre, comme les vrais critiques, ses articles à la porte du Salon et sans aucun boniment sur l'art il exécuta les peintres médiocres. (...) La majorité des lecteurs ne furent nullement choqués par la naïve brutalité de ce merveilleux critique." ( "L'Effort libre").

Apollinaire, qui tient précisément dans "Paris-Journal" une rubrique intitulée "La critique des poètes" se sent visé et réplique le 5 mai 1914: "Tant de bon sens dépensé pour injurier les femmes, pour aboutir à la divinisation de l'éclatante et banale peinture de Van Dongen (...), voilà des résultats bien extraordinaires et voilà la critique que M. Thiesson déclare merveilleuse."

Apollinaire ne s'en tient pas là. Pour venger l'honneur de Marie Laurencin, une des femmes injuriées en question, et parce que "Maintenant" parle de la critique du "juif Apollinaire" (la phrase se poursuit par : "- je n'ai aucun préjugé contre les juifs, préférant la plupart du temps un juif à un protestant-" ), il envoie ses témoins provoquer Cravan en duel!

Cravan se fend illico d'excuses mirobolantes à Suzanne Valadon, Marie Laurencin et Guillaume Apollinaire: "Bien que je n'ai pas peur du grand sabre d'Apollinaire, mais parce que je n'ai que très peu d'amour-propre, je suis prêt à faire toutes les rectifications du monde et à déclarer que (...) Monsieur Guillaume Apollinaire n'est point juif mais catholique romain. Afin d'éviter toutes les méprises possibles je tiens à ajouter que M. Guillaume Apollinaire n'est pas maigre, qu'il a au contraire un gros ventre et qu'il ressemble plutôt à un rhinocéros qu'à une girafe."

Le rectificatif concernant Marie Laurencin est tout aussi désinvolte: "Puisque j'ai dit: "En voilà une qui aurait besoin qu'on lui relève les jupes et qu'on lui mette une grosse ... quelque part.", je tiens essentiellement qu'on comprenne à la lettre: "En voilà une qui aurait besoin qu'on lui relève les jupes et qu'on lui mette une grosse paléontologie au Théâtre des Variétés".

Et de signer: " Monsieur, veuillez me croire à plat ventre. Arthur Cravan."

Le scandale ainsi provoqué assure un tel succès à la revue que Cravan met en vente un second tirage. Il ne manque pas d'y ajouter ses "rectifications", qui ressemblent si fort à un pied de nez. Tout cela pour la plus grande joie des rieurs dont André Breton pour qui "Cravan a signé, dans le n°4 de Maintenant, un compte-rendu du Salon des Indépendants qui reste le chef d'oeuvre de l'humour appliqué à la critique d'art." ("Anthologie de l'Humour Noir")

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - octobre 1998)

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