LES EXCENTRIQUES
MAURICE SACHS - INTRO ET SOMMAIRE
 
Maurice Sachs
Chapitre 7
   

Où notre héros s'habille comme André Gide, imite la signature de Jean Cocteau, admire l'oreille de Maurice Thorez et se rend à peu près insupportable...


"On ne peut, toute sa vie, vivre en mauvaise compagnie avec soi-même."
Maurice Sachs, Lettre à PierreFresnay.




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André Gide
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De retour à Paris, traînant à sa remorque Henry Wibbels, Maurice Sachs se précipite demander aide et asile à Madeleine Castaing. Elle lui avance de quoi louer une chambre dans un petit hôtel de la rue Saint-Sulpice. Le 16 octobre 1933, c'est au tour d'André Gide de recevoir la visite du fils prodigue. Les travaux d'approche de Sachs, et surtout son reniement de Cocteau, ont porté leurs fruits. Toute méfiance s'est dissipée et Gide croit même pouvoir dire que Sachs "revient d'Amérique ayant fait peau neuve". Lui aussi lui prête un peu d'argent et pousse la générosité jusqu'à l'engager à titre de secrétaire pour une période de douze jours.

Mieux encore, après avoir écouté le long exposé des infortunes de son visiteur, Gide le recommande à Jean Paulhan, qui accepte de lui confier la direction d'une collection de romans d'aventure. De voir s'ouvrir devant lui les portes de la maison Gallimard, de la prestigieuse N.R.F., de la gloire littéraire, fait tourner la tête de Sachs. Il a tant attendu ce moment! Il quitte aussitôt l'hôtel minable de la rue Saint Sulpice pour un appartement rue Saint Jacques.

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Dédicace de Maurice
Sachs à Daniel Halévy
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Un incident fâcheux lui rappelle très vite la précarité de sa situation. En cachette de Gide, Maurice Sachs a revu Cocteau pour lui présenter son ami américain. Gentiment, Cocteau a offert à Henry Wibbels une lettre de Proust. Il n'en faut pas plus pour que Sachs se croit autorisé à revenir chez le poète un jour qu'il est absent et faire main basse sur des éditions originales dédicacées par Proust ou Apollinaire, des lettres, des manuscrits qu'il porte à la salle des ventes. Gaston Gallimard, indigné du procédé, convoque Sachs et lui annonce son licenciement. Maurice sort du bureau et sur un coin de table rédige hâtivement un mot qui lui donne pouvoir de vendre livres, manuscrits et lettres, et qu'il signe du paraphe de Jean Cocteau. Revenu dans le bureau de Gaston Gallimard, Sachs brandit le faux et, avant que son interlocuteur puisse l'examiner de trop près, il y met le feu avec son briquet : "Voyez comme je pardonne à Jean ses phantasmes, je brûle sa lettre." (Cocteau, Journal d'un inconnu). Gaston Gallimard y croit à moitié mais Sachs sauve son poste. Cocteau rit beaucoup de l'audace de son ancien protégé. Comme toujours il pardonne à Sachs : "Je ne saurais geindre d'avoir été dupe. Il n'en incombe à personne d'autre qu'à moi. J'ai toujours préféré les voleurs à la police. N'est pas volé qui veut. Encore faut-il que la confiance règne. Elle régnait avec Sachs. Je le répète, il donnait plus qu'il ne prenait et prenait pour donner. (..) Même démasqué, Maurice continuait d'enjôler ses dupes. Il partait de ce principe que les gens s'amusent des mésaventures des autres sans craindre une seconde qu'elles puissent leur arriver à eux." (Journal d'un Inconnu). Quant à Gide, il a droit à une version très édulcorée de l'incident : victime de calomnies odieuses, Sachs a offert sa démission qui a été refusée.

Maintenant qu'il est établi chez Gallimard, Sachs donne libre cours à ses talents particuliers. De ses manches il sort des projets de livres, jure qu'il peut écrire un roman en trois semaines, signe des contrats à tour de bras et empoche les avances. Gaston Gallimard lui est sympathique car "Il me semblait même avoir assez de goûts pour les mauvais sujets quand ils étaient intelligents." (Le Sabbat). Par contre il se défie de Jean Paulhan qu'il soupçonne de n'être guère dupe de ses manoeuvres. Paulhan refuse d'ailleurs de publier dans la N.R.F. le premier texte que lui propose Sachs. Contre Jean Cocteau constitue une mise en accusation de l'ami d'antan, présenté comme un illusionniste dangereux, un mauvais berger de la jeunesse. Sachs y revendique hautement le droit, et même le devoir, de brûler ce qu'il a adoré. Sans doute s'agit-il de donner de nouveaux gages à André Gide, dont par ailleurs il imite la façon de s'habiller. Par contre la N.R.F. publie en juillet 1934 un article intitulé Contre les peintres d'aujourd'hui où, vantant le génie de Soutine, Sachs s'en prend à Picasso : "Picasso peintre échoue. Il y a chez Picasso impossibilité à peindre dans la matière."

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Sachs chez Castaing
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Enhardi par sa nouvelle position dans le monde des lettres, Sachs tente de nouveau d'approcher Marcel Jouhandeau. Apprenant que les Castaing sont conviés à une soirée où se trouvera Jouhandeau, il décide de les y accompagner. Funeste idée car il se produit, selon la formule embarrassée de Sachs, "une sorte d'altercation" entre lui et Jouhandeau. En fait, la vue de Sachs a sur Jouhandeau l'effet d'une cape sur un taureau. Les deux hommes se prennent violemment de querelle. La haine de Jouhandeau est exaspérée par l'incident. Deux ans plus tard, dans le numéro du 8 octobre 1936 de l'Action Française, elle est toujours vivace. Sous le titre sans équivoque de Comment je suis devenu antisémite. Jouhandeau raconte sa colère de voir réapparaitre ce "Juif" dont il a refusé qu'il lui dédie son premier roman : "Les Juifs ont la mémoire courte. M. Sachs donc m'aborde, me flatte (ils y excellent) et, grâce à ce manège, s'incruste, peu à peu me lâche et le voilà au premier plan qui montre aux dames son fond de culotte percé. Bientôt les pieds sur la table, du jambon sur les genoux et jusque dans les cheveux, il conte; Sachs a beaucoup à dire, vivant de surenchère et de scandale."

Sachs a toujours besoin d'argent. Les dettes s'accumulent. Il multiplie donc les travaux d'écriture. Alimentaires d'abord : il traduit quatre contes de Poe pour un recueil que publiera la N.R.F. Personnels ensuite: en même temps que ses mémoires, il rédige un roman dont il soumet obséquieusement les premiers chapitres à Gide. En avril 1934, Sachs, remorquant toujours Wibbels, quitte Paris et s'installe non loin de la maison des Castaing, dans un hôtel de Saint-Prest. Pour la première fois, il se sent vraiment, pleinement heureux : "Je goûtai alors toute la joie simple de vivre à deux hommes, de passer insensiblement de la camaraderie à l'amour, de la passion avec l'amitié, avec cette gaieté, cette bonhommie désintéressée que les garçons ressentent beaucoup mieux que les femmes." (Le Sabbat). Installé dans cette campagne qu'il aime depuis l'enfance, non loin de ses amis les plus chers, écrivant le matin et se promenant l'après-midi, Sachs se donne l'illusion de cette vie réglée qu'il croit désirer. Loin de Paris il lui semble possible de résister aux tentations. Il dîne légèrement et se couche tôt. Deux fois par semaine, il va à Paris pour remplir ses fonctions chez Gallimard. Le reste du temps, il joue à l'homme de lettres : "Pendant que je ne faisais rien, il me venait un nombre merveilleux d'idées pour un ouvrage; je m'échauffais tout seul en y pensant, j'allais à Paris encore tout plein de ce projet qui m'occupait tellement que j'en devenais singuliérement persuasif et qu'on me signait un contrat pour le mettre en oeuvre. Rentré à ma campagne, je musardais de plus belle." (Le Sabbat)

Soucieux de parvenir, par l'imitation, au même bonheur que les Castaing, Sachs se laisse emporter : "Je louai dans leur voisinage une ravissante maison, j'engageai un jardinier, sa femme, un peintre, un plombier, je tirai des plans sur le papier, j'aménageai en imagination le jardin, le potager, le verger, la petite île qui se trouvait dans le parc. Me voici châtelain sur les quinze cents francs par mois que je recevais de la N.R.F. et sur le succès à venir de livres que je n'avais pas encore écrits." (Le Sabbat)

A l'automne 1935 Sachs récolte le fruit de ses activités de gentilhomme campagnard. Il doit fuir en toute hâte ses créanciers et chercher refuge à Paris, dans un hôtel sordide, rue de l'Université, que dirige un Breton adepte du travesti. Wibbels et Sachs y vivent dans la crasse et la pauvreté : "Peut-on dire que nous vivions dans ce musée des horreurs? Le mot serait trop fort : nous y respirions à peine. Le dégoût, la honte, notre misère nous faisaient trembler; nous ne nous nourrissions que de légumes cuits achetés chez le crémier et réchauffés sur une lampe à pétrole; je tremblais d'avoir à monter et descendre les escaliers tant je redoutais les appels du propriétaire : "Alors, vous pensez à moi?" (Le Sabbat). Il va sans dire qu'à aucun moment Sachs ne se reproche sa prodigalité, son insouciance, sa légéreté. Tout est bien entendu de la faute des Castaing. Ce sont eux qui "sans le vouloir" (quand même!), en lui donnant l'exemple d'un bonheur que sa maudite hérédité lui rend impossble, l'ont égaré tout comme l'avait fait avant eux Jean Cocteau. C.q.f.d.

Heureusement c'est aussi en octobre que doit se produire le grand événement : Gallimard publie le premier roman de Maurice Sachs, Alias. Dans l'idée de l'auteur, il devait s'agir d'une oeuvre gigantesque et picaresque d'au moins cinq cents pages. Hélas, ses capacités et sa situation en ont décidé autrement : le roman se réduit à deux cents pages décousues où Sachs accommode à sa façon quelques épisodes de sa vie et se distribue le beau rôle, celui de Blaise Alias, observateur narquois de la comédie humaine. Cependant les familiers de Sachs sont peu amusés de s'y découvrir moqués et caricaturés. Max Jacob est ainsi particuliérement blessé du portrait venimeux qui est fait de lui sous le nom de César Blum. Et la critique ne rend même pas compte du livre. A l'exception de la N.R.F. où, pour ne rien arranger, un certain Jean Vaudal l'exécute en cinq phrases: "On voit bien pourquoi on lit ce livre, puisqu'il amuse; on voit plus difficilement pourquoi il a été écrit." (N.R.F., n° 270, 1 mars 1936).

Sachs, qui escomptait beaucoup du "premier livre de sa carrière littéraire", se retrouve de nouveau aux abois. Il multiplie les petites canailleries pour survivre : vols de livres chez Gallimard, "emprunts" de tableaux à ses amis, etc... On le surprend même à quitter un dîner en emportant les petites cuillers. A son hôtesse qui le fouille Sachs imperturbable dit : "Vous avez raison de vous méfier, car avec moi, on ne sait jamais...".

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Pierre Fresnay
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Un nouvel espoir cependant se présente avec une lettre de Pierre Fresnay qui lui assure avoir aimé son roman et lui demande s'il a des projets pour le théâtre. Sachs croit avoir trouvé la poule aux oeufs d'or. Son imagination s'enflamme : le voila auteur dramatique! Il rencontre donc Pierre Fresnay, déploie tout son charme, fait la roue, se déclare enthousiaste à l'idée d'écrire une pièce pour Yvonne Printemps, se vante de la rédiger en huit jours. Fresnay l'encourage, l'aide, le conseille. Et sachs noircit des centaines de pages, échafaude intrigue sur intrigue. Les manuscrits s'empilent : Les Dettes, Le Passage du Saint Bernard, L'Aventure de Versailles, La Croisière sentimentale, La Femme abandonnée... Aucun ne trouve grâce aux yeux du comédien. Sentant Fresnay lui échapper, Sachs s'accroche à lui, comme il s'est accroché à Cocteau, Maritain, Max Jacob... Il l'accable de lettres, de coups de téléphone... Plus Fresnay se tait, plus Sachs s'affole et en rajoute, jusqu'à en arriver à une sorte de chantage sentimental : au contact de Fresnay, il se sent "vrai, net et valable". Fresnay lui a donné l'espoir de sortir de la misère, de retrouver sa dignité, de redevenir honnête. Fresnay ne peut donc pas l'abandonner, ce serait criminel... A la fin de l'année 1936, Fresnay trouve enfin un projet qui puisse leur convenir et confie à Sachs la traduction d'une pièce anglaise à succès, French without Tears.

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Maurice Thorez
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En même temps, Sachs continue d'intriguer auprès d'André Gide, qui lui témoigne une certaine tiédeur. Comme si les bruits fâcheux qui courent sur son compte ne suffisaient pas, Sachs s'est présenté un jour chez Gide dans un tel état que son hôte l'a cru ivre ou drogué. Gide commence à trouver son admirateur un peu encombrant. Sachs signe au printemps 1936 un contrat avec Denoël pour écrire une plaquette d'une cinquantaine de pages sur Gide, qui abordera notamment ses prises de position politiques. Depuis 1932 Gide affiche de la sympathie pour l'U.R.S.S., sympathie qui le pousse à quelques jolis mouvements de menton idéologiques ("S'il fallait donner ma vie pour le succès de l'U.R.S.S., je la donnerais aussitòt.") mais ne résistera pas au voyage qu'il fera en Russie en 1936. Toujours désireux d'être reconnu, comme le fils prodigue est reconnu par son père, Sachs se propose donc de défendre les idées politiques de Gide, bien qu'il s'avoue lui-même dépourvu de toute attirance pour le communisme. "Ne me dites pas de quitter une église pour une autre, quand je ne veux pas d'église du tout.", écrit-il à Gide. Dans la foulée, il promet aussi à son nouvel éditeur un texte de huit pages, à la louange du secrétaire général du P.C.F., Maurice Thorez.

Et surtout Sachs a plus que jamais besoin d'argent. Pressé par sa situation financière, il bâcle les deux opuscules en quelques jours. Ni l'un ni l'autre ne font rien pour sa gloire littéraire. Paulhan, furieux de voir un auteur Gallimard publier chez la concurrence, juge Maurice Thorez et la victoire communiste d'une bassesse remarquable. Sachs s'y contente de raconter un meeting tenu à Ivry et de citer longuement le discours de Thorez. Ignorant tout de son sujet, il tire à la ligne, s'émerveillé de la simplicité et de la bonne humeur des ouvriers, "un groupe d'hommes absolument honnêtes, qui font de l'honnêteté leur règle et leur credo , qui l'expriment et comptent sur cette honnêteté pour une réussite honnête", ainsi que de l'oreille "moyenne, bien formée et particulièrement arrondie" de Thorez, et livre au lecteur quelques affirmations bien senties : "Je suis persuadé qu'il y aurait de l'examen d'une dentition de nombreuses conséquences à tirer à propos de celui qui la possède.".

La courte biographie de Gide ne vaut guère mieux. Et elle tombe au mauvais moment puisqu'elle n'est publiée qu'en octobre, après le retour de Gide d'U.R.S.S., et après le procés et l'exécution scandaleux de Zinoviev et Kamenev. Sachs qui avait placé en exergue de son livre une citation de Joseph Staline doit en dernière minute ajouter une préface où il explique prudemment que "il se peut bien que le communisme dès aujourd'hui, ou dès demain, n'offre plus à beaucoup d'esprits libres les saines et fortes tentations que nous y voyions hier. Si cela est, Gide et bien d'autres auront été abusés." (André Gide) Max Jacob, qui a reçu l'ouvrage assorti d'une dédicace l'assurant, contre toute vraisemblance, de la constante affection et du respect de Sachs, ricane : "Ce livre ne vaut pas la peine qu'on en parle ni d'être lu, sinon pour voir Sachs prendre un petit ton (...) qui est comique quand on connaît sa bêtise. Pauvre Sachs! On pourrait lui en vouloir s'il n'était qu'un malade." (Lettre à Jean Denoël).

Plus Sachs se débat et plus il s'enfonce dans son marais de dettes. Poursuivi par les huissiers, il jongle avec les adresses. On le voit au Vouillemont, et aussi rue de Grenelle, chez Madeleine Castaing, et aussi sur une péniche, le Boucanier, amarrée quai des Tuileries et qu'il a louée. Lassé de cette vie instable, Henry Wibbels plante là Maurice Sachs et rentre aux Etats-Unis. Ce départ ne fait qu'accélérer la déchéance de Sachs : "Je vendis pour boire le peu que je possédais (...) J'ai fait d'affreuses choses ces jours de honte. Et je volai aussi pour boire; je rebuvais pour revoler; c'était un cercle infâme." (Le Sabbat). Ventripotent, pâle, barbu, vêtu de loques, Sachs en est réduit aux derniers expédients. Il tente d'emprunter de l'argent à tous ceux qu'il rencontre. Il extorque un à-valoir à Gallimard contre la promesse d'un livre au titre cynique, Les Confessions d'un Voleur, et qu'il n'écrira jamais. C'en est fini du dandy qui suivait Cocteau au Boeuf sur le Toit. Sachs prend des allures de monstre de foire hésitant entre ridicule et pathétique. Un ami en fait ce portrait : "Il était venu comme une femme à barbe qui se serait rasée trois jours plus tôt pour s'échapper incognito d'un cirque, déguisée peut-être en prêtre défroqué portant les vêtements hérités d'un ancien anarchiste du Montmartre 1900." (cité dans Maurice Sachs, Henri Raczymow)

Son état physique devient si préoccupant qu'en avril 1937 il décide de se faire interner le temps d'une cure de désintoxication. Le séjour dans la maison de santé du 161 rue de Charonne, au milieu des fous, lui semble comme une trêve. Lui qui se sent "comme un chien fourbu qui a fourni une trop longue course, ou le gibier pourchassé qui a retrouvé miraculeusement son terrier" (Le Sabbat) peut enfin prendre le temps de se reposer, de lire, d'écrire.

C'est remis à neuf et plein d'espoir que Maurice Sachs quitte la clinique en juin 1937. Il vient d'apprendre que le directeur du théâtre Saint-Georges s'offre à monter son adaptation de French without Tears, rebaptisée par Pierre Fresnay L'Ecurie Watson. Mais l'optimisme rend Sachs arrogant. Cherchant de jeunes comédiens qui pourraient jouer dans sa pièce, il se risque à une répétition de l'Oedipe-Roi de Jean Cocteau. Mal lui en prend. Cocteau l'accuse de vouloir lui voler ses acteurs et le met à la porte. Vexé Sachs se venge par une lettre fielleuse : "Je souffre après vous avoir tant aimé, tant admiré de vous voir devenir jour après jour quelqu'un de moins admirable. Je souffre de vos concessions, de vos bassesses, de vos mensonges, de votre jeu perpétuel qui vous font aujourd'hui unsi piêtre personnage." Et pour faire bonne mesure, il conclut en menaçant Cocteau de la publication prochaine de mémoires où il expliquera publiquement les motifs de la haine qu'il lui voue désormais.

Malgré le succès de L'Ecurie Watson, les nuages d'orage continuent de s'accumuler au-dessus de sa tête. Ses créanciers font saisir ses droits d'auteur. Toujours endetté auprès de Gallimard, il a aussi emprunté de l'argent à Fresnay. A la fin de l'année 1937, pour tenter de se maintenir à flot, Sachs, que les Castaing hébergent à nouveau, se lance dans une adaptation pour la radio de Gil Blas. Il profite aussi de l'hospitalité de ses amis pour leur voler un tableau de Soutine qu'il vend à un marchand. Madeleine Castaing lui pardonnera : "Nous sommes restés très bons amis... Il avait du charme, que voulez-vous... Pauvre Maurice! Il était né escroc, mais il était si fidèle, si honnête en amitié... Un charme fou..."

Un instant Sachs s'est cru poète. Le temps de rassembler cinquante trois poèmes écrits à la va-vite en un recueil pompeusement intitulé La Chevauchée d'Hiver. Jean Paulhan refuse le manuscrit et conseille à Sachs de se remettre sérieusement à son projet de roman picaresque. Mais Sachs, de par son tempérament de dilettante mais aussi en raison de ses permanents besoins d'argent, continue de se disperser. A l'été 1938, il cède de nouveau à la tentation de fuir. L'expérience américaine ne lui a pas servi de leçon. Il se persuade donc que l'Angleterre n'attend que lui et trouve sans peine une nouvelle dupe, Louis de Lesseps, pour le financer. En échange de la promesse de droits cinématographiques inexistants, Lesseps avance l'argent qui permettra à Sachs de produire lui-même sa pièce Les Dettes (!) à Londres. Sachs poursuit ainsi son rêve de théâtre et met la Manche entre lui et ses créanciers. Malheureusement sa réputation détestable l'a précédé. A peine s'est-il installé dans le plus bel et plus cher palace de Londres qu'il doit s'enfuir, poursuivi par les tailleurs,chemisiers et bottiers qui réclament le paiement comptant de ses achats. Les premières représentations de Les Dettes en novembre 1938 sont un désastre et Lesseps décide sagement d'arrêter les frais.

La nouvelle année voit Sachs de retour à Paris. Il est seul et plus ruiné que jamais. Avec l'âge, la crainte de l'échec définitif, de la dégringolade finale se fait chaque jour plus aigue, plus cruelle. Ceux qui le croisent notent son air inquiet, la mélancolie qui rôde derrière le sourire charmeur, derrière l'optimisme affiché. Alias s'achevait sur ces lignes : "C'est ainsi que réellement commencèrent les aventures de Blaise alias. A SUIVRE." Maurice Sachs non plus n'en a pas fini avec sa vie d'aventures.

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - avril/mai 2001)

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