LES EXCENTRIQUES
MAURICE SACHS - INTRO ET SOMMAIRE
 
Maurice Sachs
Chapitre 3
   

 

Où notre héros rencontre Lucifer qui le mène vers Dieu,
et démontre que les voies du Seigneur sont parfois bien tortueuses...

"On ne se sent jamais si disponible et si empêché que seul au milieu d'une grande ville où l'on a rien à faire de particulier. Je fis un premier pas en avant comme pour mieux prendre possession de la rue et de Paris, mais je compris à l'instant que quelques pas que je fisse ils ne me mèneraient nulle part où je souhaitasse spécialement d'aller." (Maurice Sachs, Alias).

 


A dix-sept ans, Maurice Sachs est un grand jeune homme, très brun, affligé d'embonpoint. Son visage est un peu bouffi, ses yeux trop petits, un front bas et fuyant. Il possède une voix doucereuse et affecte des allures de dandy. Pourtant il séduit. On le trouve charmant, drôle, mais aussi vaguement inquiétant, trop poli pour être honnête. De retour d'Angleterre, il bat le pavé de Paris. Sa mère se cache à Londres et sa famille le rejette. Seul le bon René Blum lui tend la main et lui trouve un emploi de représentant pour une maison d'édition. Sachs profite des visites qu'il fait aux bibliophiles pour écouler les derniers volumes de l'édition des oeuvres complètes d'Anatole France qu'il a héritée de Georges Sachs, volumes "horriblement illustrés, mais signés par l'affreux vieillard de la villa Port-Saïd et ornés par lui de dédicaces à mon grand-père!" (Lettre à André Gide)

L'argent ainsi gagné lui paie une chambre dans un petit hôtel de la rue Gay-Lussac et des repas de frites dans les restaurants du Quartier-Latin. Tiraillé entre l'ambition et l'inquiétude, Sachs relit Balzac dont il connait déjà l'oeuvre entier, découvre Le Rouge et le Noir de Sthendal et Les Nourritures terrestres d'André Gide : "l'un me fit comprendre véritablement le sens du mot ambition, (...) l'autre m'apprenait qu'il allait falloir tout extraire de moi-même. On voit que le mot morale n'était entaché dans mon esprit d'aucun soupçon de restriction et que je n'entendais nullement par là une notion de bien et de mal. Je ne pensais qu'à une règle de conduite orgueilleuse." (Le Sabbat).

En cette année 1923, la chance sourit à Maurice Sachs : il se lie d'amitié avec Robert delle Donne et sa soeur Marie. Leur père tient un hôtel au 15 de la rue Boissy d'Anglas, le Vouillemont, que fréquentent des artistes comme Robert Desnos, Paul Morand, Léon Paul Fargue, Anna de Noailles, Jean Cocteau. Les delle Donne tiennent table ouverte et "il y avait un monde fou chez eux ; les femmes de la bonne société venaient s'y frotter aux jeunes artistes qui venaient discuter là à longueur de journées, et les parasites des deux clans venaient s'y nourrir." (Le Sabbat). Et ils cherchent pour leur établissement un réceptionniste présentant bien et parlant anglais. Maurice Sachs se propose et est engagé. Les delle Donne le logent, le nourrissent et lui versent un salaire. Mais surtout ils offrent au jeune homme une amitié dont il est si avide qu'il en accepte les petites humiliations que lui vaut son statut d'employé. Sachs amuse la famille delle Donne qui le surnomme Biquette. Il est toujours prêt à rendre service, à porter les paquets, à colporter les derniers ragots. Et qu'importe si Marie le traite comme sa demoiselle de compagnie! Sachs lui a "une grande reconnaissance d'avoir dit à quelqu'un (je l'avais entendue par surprise) : "Maurice Sachs est si intelligent.". (Le Sabbat)

C'est au Vouillemont que Sachs fait la connaissance de Gérard Magistry, qui va devenir un de ses plus grands amis. Voyant Sachs accrocher au mur un portrait de Gide, Magistry lui dit : "Il n'y a que Cocteau." Sachs n'ose protester : "Devant ce garçon, un peu mon aîné, que je trouvais bien plus intelligent que moi, j'eus honte de ce que j'avais cru vrai et avec un chagrin véritable, un étonnement profond, mais sans une hésitation, sans un doute, je glissai le portrait de Gide dans un tiroir." (Le Sabbat) Pour Sachs, qui cherche toujours quelqu'un dont il puisse, à force de l'admirer et le servir, gagner l'amour, l'occasion est trop belle. La gloire du poète et sa réputation scandaleuse ne peuvent que le séduire. Cocteau lui semble un magicien : "Tous les soirs les réputations meurent à Paris : il réussissait d'une façon sans pareille à redevenir tous les matins l'homme du jour. " (Chronique joyeuse et scandaleuse). Aussi quand Magistry lui propose de le présenter à Jean Cocteau, Sachs accepte avec empressement. L'occasion fait le larron : "Je n'avais jusqu'alors jamais eu de curiosité envers lui. Mais à l'instant qu'il me devenait possible de le connaître il me paraissait soudain que je n'avais plus d'autre désir." (Chronique joyeuse et scandaleuse).

En février 1924, livide d'émotion, il franchit pour la première fois le seuil du 10 rue d'Anjou où Cocteau habite chez sa mère. Le poète a trente-cinq ans et sa vie vient de basculer avec la mort en décembre 1923 de Raymond Radiguet : "La mort de mon pauvre enfant m'a porté le dernier coup, mieux vaudrait la mort que la demi-mort où le seul désir de ne pas atteindre Maman m'oblige à vivre." (Lettre à l'abbé Mugnier). Cette "demi-mort" se passe à fumer l'opium en compagnie de ses "gosses" dans le décor capharnaumesque de l'appartement de la rue d'Anjou, à préparer la représentation de son adaptaton de Roméo et Juliette et à faire des entrées royales au Boeuf sur le Toit...

Le Boeuf sur le Toit, qui doit son nom au titre d'un mime de Cocteau, s'est ouvert en 1922 au 28 rue Boissy d'Anglas. Il succède au Gaya, rue Duphot, où, assis derrière la batterie prêtée par Stravinski, Jean Cocteau, le poète-orchestre, en smoking blanc et tuyau-de-poêle, dirigeait son jazz-band, avec Jean Wiener, Georges Auric ou Francis Poulenc au piano, en frappant sur des tambours, des cymbales, des verres à boire, soufflant dans un mirliton, actionnant un klaxon et jouant des castagnettes. Cocteau et sa bande ont suivi Moysès, le patron du Gaya, au Boeuf sur le Toit où ils attirent tout ce que Paris compte de célébrités. On peut y croiser Raymond Radiguet, Blaise Cendrars, Brancusi, Picabia, Picasso, Marcel Herrant, Coco Chanel, Yvonne Printemps, Derain, Satie, Auric, Fargue, et même le maréchal Lyautey : "les jeunes gens étourdis, charmés, regardent avec de grands yeux ces personnages célèbres qui boivent comme n'importe qui mais dont les noms les font trembler d'admiration. Ils s'y saoulent autant de gloire que d'alcool." (Au temps du Boeuf sur le Toit).

Sachs avoue dans Le Sabbat : "Nul n'était plus préparé que moi à se laisser enchanter... Mais l'enchantement fut parfait, total, irréfléchi et délicieux." Cocteau reçoit les deux jeunes gens en pyjama de soie noire, un foulard rouge autour du cou. Sachs remarque particuliérement les mains de l'enchanteur : "des mains longues et anguleuses, des mains comme on en voit aux statues égyptiennes, mais dont les doigts extraordinairement déliés et agiles fascinaient le visiteur." (Chronique joyeuse et scandaleuse). Les cheveux noirs de Cocteau lui font comme une auréole : "Moins osseux qu'il n'est devenu, il me parut merveilleusement beau." (Le Sabbat). Les dés sont jetés : "Quand nous quittâmes ce magicien, je savais, à n'en pas douter, que je n'allais plus vivre que pour lui. J'écris ces mots avec d'autant moins de gêne qu'aucune attirance physique n'entrait en jeu." (Le Sabbat).

Plus tard, le temps inévitable des fâcheries et de l'ingratitude venu, quand l'amour aura viré à la haine, Sachs révisera son jugement sur Cocteau et affirmera n'avoir succombé au charme de l'enchanteur que par naïveté juvénile. Il caricaturera son ancienne idole sous les traits de Jean Duvant, dénigrera l'oeuvre du poète, lui reprochera sa sécheresse de coeur et conclura : "Au total qu'avions-nous donc appris à son contact? Pas grand-chose. Presque uniquement des mots d'un vocabulaire grotesque dans tout autre bouche que la sienne. Quel souvenir devions-nous garder de lui? Celui d'un illusionniste effrayant qui savait escamoter les coeurs et ne vous rendait qu'un lapin." (Le Sabbat).

  Bal homosexuel,dessin de Bécan (all rights reserved)
 
Bal homosexuel,
dessin de Bécan
(all rights reserved)

Mais, pour l'instant, Sachs ne songe pas encore à voler, escroquer et faire chanter Cocteau. Il se contente de l'admirer. Comme il le faisait pour Jacques Bizet, il vient visiter Cocteau tous les jours, impose sa présence, séduit. Sensible au charme, à la gentillesse et à l'intelligence du jeune homme, Cocteau l'emploie comme secrétaire, lui donne une figuration dans Roméo et Juliette.
Sachs se dédouble. Le jour, en jaquette, il travaille comme réceptionniste au Vouillemont. La nuit, oeillet à la boutonnière, il suit Cocteau au Boeuf sur le Toit, quelques mêtres plus loin. La soirée se poursuit souvent dans les bals homosexuels, comme le Bal des Trois Colonnes, rue de Lappe ou le Bal des Lopes, près de la Tour Eiffel, alors nombreux à Paris et trè fréquentés (y compris par les hétérosexuels) : "On se montre les célébrités, reconnaissables malgré leur masque - car certains en portent - à leurs manières, leur voix, leur démarche, leur accoutrement. La cape et le tube sont l'uniforme obligatoire de la Gentry Homo. André de Fourquières, qui préside, arbore une cape rouge sang de boeuf, Maurice Sachs une cape argentée. Cocteau et bien d'autres, tout ce qui compte dans le "milieu" parisien est là. Toutes les classes de la société sont largement représentées. Comme à Bullier d'ailleurs, ou au bal Wagram. On voit nombre de vedettes de cinéma ou de théâtre, des bougnats, métallos et pléthore de garçons-bouchers. Telle Andalouse exhibe des biceps de déménageur; un louchebem perruqué fraie avec une Pompadour d'origine manifestement auvergnate. Mais l'Orient, pachas et odalisques, domine." (Marcel Duhamel, Raconte pas ta vie)

Cette vie nocturne coûte cher et Sachs est coquet. Il apprécie les costumes bien coupés, les belles chemises. Il aime se sentir net et élégant, et cela d'autant plus qu'il est sans illusion sur son physique : "ah, quel désagrément agaçant comme un mal de dent provoque cette chemise trop portée et dont, à tort, on éprouve plus de honte que du costume malpropre, parce que la chemise vous colle à la peau et vous rappelle constamment sa nauséabonde présence. Car un homme confortablement habillé c'est, en fin de compte, un homme que rien ne gêne aux entournures, qui ne se sent pas du tout habillé, et qui, vêtu, est à l'aise comme un homme nu."(Chronique joyeuse et scandaleuse).
Et puis il faut aussi payer les amours à vendre, les jolis garçons blonds qui coûtent d'autant plus cher que Sachs n'est pas beau. Il emprunte à ses amis et ne rembourse jamais ses dettes. Il achète à crédit chez les tailleurs et les bottiers et oublie de payer ses notes. Il ne se sent pas coupable : ce sont les autres qui, en lui avançant de l'argent, le poussent à vivre au-dessus de ses moyens! Comme ces expédients ne suffisent pas, il vole régulièrement les clients de l'hôtel Vouillemont. Les delle Donne s'en aperçoivent, menacent de le renvoyer. Sachs jure de s'amender et à la première occasion recommence ses larcins.

  Jacques Maritain (all rights reserved)
 
Jacques Maritain
(all rights reserved)

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si un beau jour ne surgissait rue d'Anjou Jacques Maritain. Un grand vent de conversion souffle alors sur les milieux littéraires et artistiques. Déjà Claudel, Psichari, Max Jacob, Francis Jammes ont rejoint le troupeau. Le philosophe, lui-même protestant converti au catholicisme, filleul, comme son épouse Raïssa, convertie elle aussi, de Léon Bloy, s'est mis en tête de réconcilier les artistes et l'Eglise et de ramener à Dieu les brebis égarées du côté du Boeuf sur le Toit. Peu lui importe que Cocteau ait écrit en exergue à la Machine infernale : "Les dieux existent. C'est le Diable."! ou qu'il dédicace ses photos du nom de Lucifer, Maritain a remis dans le droit chemin des pécheurs encore plus endurcis. Et le poète, que certains accusent de corrompre la jeunesse, serait un trophée de taille pour le saint tableau de chasse. Le brave philosophe ne peut évidemment deviner que Maurice Sachs va précipiter cette pieuse mission dans la bouffonnerie.

Cocteau... (all rights reserved)  
Photo de Cocteau
dédicacée à Maurice Sachs
et signée "Lucifer"
(all rights reserved)

 
Max Jacob se charge de préparer le terrain. Le peintre et poète breton, s'est converti en 1909 après que le corps et le visage de Jésus-Christ lui soient apparus dans une aquarelle qu'il avait peinte et accrochée au-dessus de son lit : "J'ai cherché mes pantoufles et quand j'ai relevé la tête, il y avait quelqu'un sur le mur! Il y avait quelqu'un! Ma chair est tombée par terre! J'ai été déshabillé par la foudre! Oh impérissable seconde! Oh vérité! Vérité!" Cependant avec Cocteau Max Jacob se montre moins lyrique, lui conseillant d'avaler l'hostie "comme un cachet d'aspirine", pour chasser la douleur.

Un beau jour Maritain s'annonce donc rue d'Anjou. Cocteau et ses "gosses" font en toute hâte disparaître les pipes, l'opium, les matelas, ouvrent en grand les fenêtres pour chasser le parfum entêtant de la drogue. Jacques Maritain dit à Cocteau que l'opium ne console pas des malheurs aussi bien que la Grâce et le persuade d'entreprendre une cure de désintoxication dans la clinique du médecin qui a déjà traité Guillaume Apollinaire, Raymond Radiguet et Max Jacob. Passant d'un opium l'autre, Cocteau cède à Maritain et revient à la foi de son enfance, sans doute pour des raisons plus esthétiques que métaphysiques : "Un prêtre m'a frappé du même choc que Stravinski et Picasso." Cette conversion ne sera que passagère. Cocteau réglera vite le malentendu. Il préfère de beaucoup les anges et leur "amoralité naïve" à Dieu dont il a une bien étrange conception: "L'hôpital, l'assassinat, l'opium, l'amour, tout lui est bon pour en finir vite et reprendre ses enfants perdus." (Le Secret professionnel

L'annonce de la conversion de Cocteau secoue le petit monde littéraire. "Elle mit, ricanera plus tard Sachs, un instant les Maritain et Dieu à la mode." (Le Sabbat). Mais sur le moment Maurice Sachs est bouleversé. A peine a-t-il trouvé un père, un grand-frère, un modèle, que celui-ci se détourne de lui. Sachs ne veut pas qu'on l'abandonne, même pour Dieu! Il aime Cocteau et veut que Cocteau le remarque et l'aime. S'il faut pour cela aimer ce dieu dont Cocteau s'est entiché, qu'à cela ne tienne, Sachs l'aimera. Lui, le Juif déjudaïsé, il aimera le Dieu des catholiques. Il ne faut cependant pas brusquer les choses de peur d'éveiller la méfiance de Cocteau. Sachs attend le 15 juillet 1925 pour écrire à son cher Jean : "Jusqu'à ce jour vous m'avez donné mon seul bonheur, mais auprès de vous tout est horrible, toute comparaison est atroce. Il n'y a rien, rien dans la vie. Or, pour vous aimer mieux - pour être moi-même, il faut que je trouve un équilibre qui me manque, un consolant à tout ce que je ne peux plus supporter et qu'il faut que je supporte. Deux fois, à bout, je me suis agenouillé devant votre portrait, mais je vous aime trop dans la vie même pour puiser en vous un apaisement.Venez à mon secours. Il reste la foi. Vous vous êtes tourné vers elle. Ne m'abandonnez pas."

  Raïssa Maritain (all rights reserved)
 
Raïssa Maritain
(all rights reserved)

Cocteau, touché, recommande son ami à Jacques Maritain. Sachs tombe tout de suite sous le charme réel de Jacques et Raïssa Maritain. Si auprès de Cocteau, pour la première fois Sachs ne s'était "senti ni taré, ni absolument isolé", accepté dans ses goûts esthétiques et sexuels, il n'en aspire pas moins à autre chose : Cocteau "offrait cette liberté, cette révolte dont a besoin tout jeune homme qui a été élevé dans l'ordre établi, mais que je ne désirais pas tant trouver moi qui avait été élevé dans le tohu-bohu!" (Le Sabbat). Enfant, Sachs révait d'une famille tout droit sortie des pages de la comtesse de Ségur. Quand, le 2 aout 1925, envoyé par Cocteau, il pousse la porte des Maritain à Meudon, il découvre un monde paisible, sentant bon les meubles bien cirés et le poulet du dimanche. Jacques Maritain lui apparait comme le père vertueux et sage qu'il n'a pas eu, et Raïssa comme la mère douce et aimante qui lui a manqué. Le couple accueille avec beaucoup de gentillesse et de générosité ce jeune homme de dix-huit ans à la vie rien moins qu'exemplaire. Et Sachs de s'illusionner aussitôt : "Je sentais que j'allais pouvoir être REUNI aux hommes, à tant et tant d'humains, à trois cents millions de catholiques.". (Le Sabbat).

Sa vraie famille prend très mal ce nouveau pied-de-nez. On le traite de tous les noms : renégat, traître, imbécile. Sachs s'en moque. Il est trop occupé à apprendre par coeur l'Ave Maria et le Pater Noster pour complaire aux Maritain. Il les aime et les admire. Jacques Maritain ressemble au Christ, pas moins. Raïssa et lui sont des créatures dont "les entrailles sont tout esprit",(Le Sabbat), qui m'appartiennent pas à la terre. Et dans leur compagnie, Sachs se sent au chaud, un enfant gâté. Raïssa lui écrit : "Quelle que soit ma propre médiocrité, je me sens pourtant de grandes ambitions pour celui que j'aurais bientôt la joie très douce d'appeler mon filleul (...) Je voudrais que vous soyez un grand chrétien qui donne vraiment son coeur à Dieu." Qu'à cela ne tienne! On veut qu'il soit un grand chrétien, il le sera! Il dépassera même Cocteau et tous les autres en piété : "J'étais fermement décidé à pousser la conversion à l'extrême, à entrer dans les ordres." (Le Sabbat).

Sachs se garde cependant d'annoncer la bonne nouvelle aux Maritain. Leur crédulité n'est peut-être pas sans limite. D'autant que Sachs sait parfaitement qu'il les dupe et se dupe : "J'ai des complexes de vertu comme certains hommes trop austères les complexes opposés. Vous croyez peut-être que la compagnie des noceurs m'amuse. Ce serait mal me connaître (...) Ah! aller m'asseoir quelquefois au foyer d'une famille pensant bien et vivant bien et me croire l'un d'eux pour quelques instants! Il est vrai que je n'aime tant ces atmosphères que parce que je suis sûr de les vite quitter!" (Alias).

Et, le 29 août 1925, les Maritain font à Maurice Sachs l'honneur de célèbrer son baptême dans leur chapelle privée. Raïssa est sa marraine et Jean Cocteau son parrain, représenté par Jacques Maritain. Ainsi, comme le formule le certificat de baptême : "L'an mil neuf cent vingt-cinq, le vingt-neuvième jour d'août, en présence des témoins soussignés, Jean-Maurice-Marie-Jacques Sachs, né le 16 septembre 1906 à Paris, ayant reconnu que hors de la véritable Eglise il n'y a point de salut, a fait profession de la religion catholique, apostolique et romaine, et renoncé entre mes mains aux erreurs des Juifs."
Ce jour-là cependant Raïsa Maritain écrit dans son journal : "Baptême de Maurice. Malgré tout je ne suis pas rassurée. Ce garçon a quelque chose d'obscur qui m'inquiète."

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - Novembre 2000)

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