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"Si tu es assez con pour t'enfermer dans un cinéma, c'est que tu t'en fous des extérieurs."
En 1949, Paraz répond à un questionnaire de la revue Ciné-Digest, occasion pour lui de dire bien haut tout le mal qu'il pense du cinéma et du climat de censure et d'ordre moral qui suit les années de guerre : "J'ai donné bien des fois mon opinion sur le cinéma et je suis surpris qu'on vienne encore me la demander. L'observation lucide de cette activité m'a révélé que c'est tout le contraire d'un art. Pourquoi se faire des illusions. Je lis dans votre N°2 cette phrase stupéfiante : "Ecrire pour le cinéma c'est écrire avec le vocabulaire le plus riche qu'aucun artiste ait eu jusqu'ici à sa disposition."
Mais non! Ecrire pour le cinéma, c'est écrire pour les imbéciles, avec le vocabulaire le plus pauvre et le plus plat que nous laisse encore la dictature des larves, la plus étouffante. Il y a un certain nombre de choses que vous ne pouvez pa nier. Primo, le cinéma est partout ailleurs que sur les boulevards, réservé aux gosses dont les parents ne savent que faire le jeudi et le dimanche. En conséquence son niveau intellectuel ne doit pas s'élever au-dessus des insanités de la radio ou du Tour de France. (...) Tant qu'on devra faire des films qui seront vus par les familles, le niveau restera ce qu'il est, à part quelques minutes de poésie involontaire pour énormément d'ennui. Toute initiative est enlevée aux véritables artistes que leur délicatesse éloigne forcément d'un tel milieu. Y voyez-vous Bernanos ou Céline? Vous me répondez que Gide y vient avec Prévert. Ce ne sont pas des titans. Ils devront s'incliner devant leur maître qui en définitive reste le père de famille indigné, c'est à dire l'imbécile. Quant aux distributeurs et aux producteurs, ils sont les esclaves rampants et frétillants de ce sous-homme, gémissant comme un petit chien qui guette le moindre froncement de son auguste sourcil."
Ce texte lui vaut les foudres des "professionnels de la profession", des articles vengeurs dans la presse corporatiste, des lettres anonymes et des menaces de procés. Toutes réactins qui ne peuvent qu'encourager Paraz à enfoncer le clou : "le cinéma d'aujourd'hui est mauvais. Il est mauvais parce qu'il ne peut pas être bon." Selon lui, le cinéma français meurt de deux maux : la lourdeur de sa machinerie corporatiste et son auto-complaisance : "Il faut un énorme coup de barre, publier, sans trêve, des journaux de cinéma qui cessent d'être en extase devant la plus mince vedette, ou tel metteur en scène, artiste comme un contremaître d'usine à gaz. Ce n'est pas agir contre les travailleurs du film, c'est le seul moyen de les aider."
Il faut admettre que Paraz parle d'expérience. Il a "tourné trois films" et fréquenté de près les "combinards qui ont tué le cinéma français, à peu près tous les membres du syndicat des scénaristes. Mais qu'est-ce que ça peut me foutre puisque je ne vais pas au cinéma? Au contraire, je devrais être réjoui de sa mort car je ne connais pas de milieu plus abject."
Paraz a travaillé entre 1941 et 1943 avec un groupe de scénaristes, que les lois anti-juives avaient contraint de se réfugier sur la Côte d'Azur :"Heymann et Calef, deux héros qui étaient à peu près aussi résistants que moi. Nous faisions partie du même réseau, le réseau de la pétanque à Juan-Les-Pins et des carrés du 17 à la table 2 de Monte-Carlo." En 1944, il cache Henri Calef dans son appartement parisien.
Mais sa première véritable incursion dans l'industrie cinématographique se produit en décembre 1944. Il écrit les dialogues de Vive la Liberté, film de Jeff Musso consacré à la Résistance. La production du film est interrompue faute d'argent. Et aussi pour des raisons politiques. Le P.C. prétend à un monopole sur la Résistance. Musso et Paraz se voient même convoqués dans les bureaux de la C.G.T. rue Lafayette pour y fournir des explications sur le scénario : "Je n'ajoute rien (...) Le simple fait que des créateurs furent obligés, à un moment donné de l'histoire syndicale et de celle du cinéma, d'aller s'expliquer rue Lafayette est tout à fait suffisant. J'en aurais à dire là-dessus. Je tiens ça en réserve, probablement pour rien, car je suis persuadé que le cinéma français va tomber à zéro et c'est bien fait."
Quand la réalisation du film reprend, Paraz a la désagréable surprise de découvrir que le producteur retravaille ses dialogues: "Ce phacochère vautrait tous les soirs sa panne sur mes dialogues en compagnie de deux acteurs : Darcante et Bussières et "revoyait mon texte". (...) Pour vous donner un exemple, vous faire toucher du doigt l'étendue de l'abcès, voici le genre d'opération que mes trois artistes ont fait subir à mon texte : des réfractaires cachés dans la montagne ont faim et le font savoir à leur chef qui cherche à les apaiser. J'avais écrit : "Nous avons faim!" et l'autre répondait : "Il faut tenir!"
Voici ce que mes zèbres avaient trouvé : "On a faim, avec un grand F, comme Famine!" Et le chef répondait : "Il faut tenir, avec un grand T, comme ténacité." Ils étaient fiers d'avoir pondu ça, ils disaient : "C'est du Prévert!".
Paraz refuse donc de signer le film et le public se range à son avis en boudant Vive la Liberté. La carrière de Jeff Musso ne s'en relève pas. Le cinéma s'intéresse de nouveau à Paraz en 1946 lorsque Henry Jacques porte Bitru à l'écran sous le titre de L'Arche de Noe. Pourquoi ce titre? "C'est parce que, explique Paraz, j'avais transporté des scènes des Repues Franches dans une péniche qui devait être envahie par les animaux de la mère Phalanchet. Mais la précensure et le syndicat ont décidé qu'il n'y aurait pas d'animaux. (...)
- Pas d'animaux.
- Mais...
- Qui êtes-vous? L'auteur! Ha, ha! Hors d'ici. S'il faut refaire le dialogue n'importe qui, mais vous, la paix."
On garde donc le titre, même si, faute d'animaux, il devient incompréhensible. Et le n'importe qui, chargé de retravailler les dialogues, se révèle être Prévert . Il édulcore de son mieux l'univers libertaire de Paraz et transforme les aventures de Bitru en aimable fantaise sans conséquence. Pour ne rien arranger, Bitru emprunte les traits de Pierre Brasseur. Le film est néanmoins bien accueilli par un public friand des répliques à la Prévert. Paraz, lui, s'en désintéresse totalement.
Paraz retrouve Brasseur la même année dans L'Amour autour de la maison, de Pierre de Hérain. Brasseur y a pour partenaire Maria Casarés et Julien Carette; et Paraz y fait de la figuration, peut-être attiré là par le charme des comédiennes. Le tournage ne semble guère l'avoir enthousiasmé et il en fait une description féroce dans Le Gala des Vaches : "Un honnête homme ne peut pas ne pas avoir envie de vomir au milieu d'un car qui mène pêle-mêle vers les extérieurs, vedettes, opérateurs et machinistes. (...) Il n'y a pas de bêtise particulière aux chauffeurs de taxi, aux cordonniers, aux ajusteurs, il y en a une spéciale aux normaliens, aux philosophes et aux cabotins, nourrie d'une immense vanité."
La rencontre entre Paraz et le cinéma s'achève sur une rupture définitive. Trop de réglements, trop de censures, trop de compromissions pour un esprit libre comme Paraz : "Et vous savez déjà que l'auteur, dans ce milieu, c'est exactement une merde. On le balaie dans un coin, on lui marche dessus, il n'est pas une seule des personnes présentes qui ne soit assurée qu'elle pourrait faire mieux et le remplacer à l'occasion."
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