LES EXCENTRIQUES
ALBERT PARAZ - INTRO ET SOMMAIRE
 
Albert Paraz
 
Albert Paraz   Un Homme Libre

8 - Au revoir! à bientôt!

   
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"L'individu n'est peut-être pas très joli comme idéal. Il a sur tout le reste l'avantage d'exister. La flamme qui brûle en nous, l'être vivant, c'est la seule réalité."


La lourde menace financière que font peser sur lui ses démêlées judiciaires contraint Paraz à travailler encore plus. Tout en continuant de prêter sa plume au Défense de l'Homme de Lecoin, à la revue belge Europe-Amérique et diverses autres publications, Paraz accepte de tenir la chronique radiophonique de Rivarol, journal créé en 1951, qui penche à l'extrême-droite et où on retrouve des antisémites notoires comme Rebatet et Fabre-Luce. Le vieux militant anarcho-syndicaliste Louis Lecoin, venu le visiter à Vence en voisin, lui demande pourquoi il donne des articles "à un tel canard". Paraz lui répond simplement: "Indiquez m'en un autre." Mais peut-être Paraz donne-t-il lui-même la véritable explication de son parcours au début de Valsez saucisses : "Je ne me dédis pas. Je n'ai pas changé. C'est le monde qui a changé." Léo Malet semble abonder dans ce sens quand il écrit : "On a dit qu'il avait changé, plus tard, quand il a collaboré à Rivarol, où il tenait la rubrique de la radio. Une critique vraiment au poil. Changé, je ne sais pas si c'est le mot, mais il avait modifié certains de ses points de vue. A la Libération, il avait assisté à des spectacles écoeurants."


Paraz déteste la " teusseufeu " : " La radio est l'instrument le plus expéditif de l'abrutissement des masses. Goebbels l'a mis au point (…) Vous remarquerez, est-ce assez clair, qu'aucun des régimes d'oppression n'a jamais eu l'idée de saisir les postes. Ce serait s'enlever son moyen le plus sûr de se concilier l'adoration des troupeaux à mener à la boucherie. " Sa chronique devient donc très vite prétexte à une tribune libre, où il défend Céline et cogne comme un sourd sur ses habituelles têtes de Turc. Et il n'est pas rare qu'il attaque les autres collaborateurs du journal, notamment Antoine Blondin et Pierre-Antoine Cousteau, qui le considèrent comme un énergumène.

Paraz continue de se marginaliser, comme à plaisir. Céline, dont l'accusation a été ramenée en 1949 à celle d' "actes de nature à nuire à la défense nationale" (sic), est condamné à un an de prison et amnistié. Il peut donc enfin rentrer en France. Mais lors de son passage sur la Côte d'Azur, il ne fait pas le détour pour rendre visite à celui qui se bat pour lui depuis si longtemps.

Grabataire, Paraz continue d'écrire, pour survivre, au sens littéral du mot. Après ses incursions infructueuses dans le domaine des best-sellers, cherchant toujours le filon miraculeux, il décide de s'essayer au roman noir. Il prend pour héros, ou plutôt anti-héros, Félix Gorin. Repris de justice et obsédé sexuel, Gorin est devenu inspecteur de police par suite du chantage qu'exerce sur lui le commissaire Bardot. L'intrigue d' Une fille du tonnerre débute comme celle d'un roman d'espionnage avant de se dérégler tout à fait. Le résultat surprend l'auteur lui-même : " Je croyais faire un policier série noire avec La Fille et cela a tourné comme ça. "

Ignorant avec la même superbe indifférence les règles de la littérature policière et celles de la vraisemblance, Paraz invente un genre nouveau, qu'exploitera plus tard, avec moins de talent mais plus de succès, Frédéric Dard dans la série des San Antonio. Roman sans queue (si on ose dire!) ni tête, désinvolte et libertaire, Une Fille du Tonnerre mélange fiction et réalité, érotisme et humour, actualité et érudition, personnages romanesques et réels : on croise ainsi un amateur de pornographie distingué nommé Michel Simon, et un écrivain grabataire, un certain Albert Paraz, qui se fait engueuler par sa créature, Félix Gorin : "T'as un sacré culot de me traiter d'obsédé. Tu sors le soir et tu vas enfiler n'importe quoi, les dominicaines derrière la chapelle de Matisse. Une nuit tu t'es gourré, t'as sauté sur le curé, une autre fois, ça a été un bouc. Pourquoi la chapelle, et pourquoi un bouc? "
Et Paraz de répondre : " Pourquoi pas?"

C'est encore l'occasion pour Paraz d'enfourcher ses vieux chevaux de bataille mais aussi d'afficher son amour et sa maîtrise parfaite de l'argot : "Une calebombe, c'est une bougie ; une bougie, c'est une thune. Seulement, une calebombe c'est jamais une thune. A=B, B=C, et A n'a rien à voir avec C. Comment veux-tu que les Allemands s'y retrouvent? Et les Sioux? C'est cartésien, ces primitifs. Et les Belges, les Toulousains, les Niçois?". Ainsi qu'une érudition aussi encyclopédique que pittoresque des us et coutumes sexuels.

Bien trop en avance sur son temps, Une fille du tonnerre rencontre l'incompréhension du public : "Beaucoup de braves gens, infiniment plus dialectiques qu'on le croit, me demandent ce que j'ai voulu exprimer au juste. J'ai simplement voulu passer un bon moment et faire rigoler les copains. Il ne faut pas chercher autre chose. "

La santé de Paraz continue de se dégrader : " J'ai le côté gauche malade. Pas de poumon gauche, si bien que je n'ai même pas la force de presser un tube dentifrice de la main gauche. " Taper à la machine lui est pénible : "Ça me fout des lumbagos, je peux juste taper 3 ou 4 pages par jour et c'est interdit par les toubibs. " A Vence, Paraz mène désormais une existence de reclus. Des visites viennent le distraire : Henri Miller, Georges Braque, Louis Lecoin…

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Pierre Monnier trace de l'écrivain un portrait touchant et révélateur : " Physiquement, un grand et beau gaillard à l'œil bleu clair, avec une attitude avantageuse de cabot expérimenté. Son faciès de lion nostalgique est habité par un regard rêveur qui lui donne un charme dont il est tout à fait conscient comme il est conscient de sa vanité qui le fait rire. Il se moque de lui-même : " C'est vrai, je suis vaniteux comme il n'est pas permis…" Louis Lecoin, dans ses Mémoires, insiste aussi sur la différence entre Paraz l'homme et Paraz le polémiste: "Albert Paraz avait intérêt à être connu, il valait infiniment mieux que la plupart de ses écrits (...) Ecrire était pour lui plus qu'un exutoire, c'était un remède, le meilleur. Il me surnommait: "enfant de chœur"! je le traitais d'"aventurier anarchisant"! Nous nous entendions bien, malgré tout ce qui nous séparait. Puis j'étais tellement désolé de le voir dans cet état... Avant de mourir il peindra un tableau qu'il me remettra afin d'alimenter ma campagne pour l'obtention d'un statut de l'objection de conscience."

Toujours en quête d'un succès d'édition, Paraz publie en 1953 L'Adorable Métisse. A priori, le roman ressemble beaucoup à Une Fille du tonnerre : une intrigue d'espionnage abracadabrante et des scènes érotiques, avec cette fois l'Afrique en toile de fond. Mais la réputation de polémiste sulfureux de Paraz va lui valoir un vrai succès. En effet, il a demandé une préface à un ami d'enfance qui se trouve être le maréchal Juin, tour récent académicien français. Aussi insignifiant que soit le texte de Juin il suscite un scandale. la presse bien pensante s'offusque : comment un maréchal de France peut-il associer son nom "à l'ouvrage priapique d'un écrivain paranoïaque, délirant contre la Résistance " ? D'articles indignés en interpellation à la Chambre, L'Adorable Métisse se vend à 6000 exemplaires.

Persuadé de tenir enfin le filon, Paraz met en chantier deux romans : Petrouchka, une suite à Une Fille du tonnerre, et, dans la lignée de L'Adorable Métisse, Sainte-Marie de la Forêt qu'il veut être "un truc à la Graham Greene, un métis prêtre in aeternam qui retourne au pagne et au tam tam, vous me comprenez, et qui revient ensuite à la messe." De plus en plus affaibli et pressé par le temps, Paraz se fait aider par un repris de justice, tubard comme lui, un certain Alphonse Boudard. Celui-ci est un des nombreux prisonniers avec qui Paraz entretient des relations épistolaires et aide à l'occasion. Reclus dans un sanatorium, il s'ennuie et e travail que lui confie Paraz lui permet de passer le temps et de gagner un peu d'argent.

Petrouchka, publié en 1953, se ressent de l'écriture à quatre mains et passe à peu près inaperçu. Quant à Sainte-Marie de la Forêt , les inévitables scènes érotiques, les attaques gratuites contre Paul Claudel ou le docteur Schweitzer, l'intervention de Félix Gorin brouillent un peu plus le message, déjà un peu confus en lui-même, que veut faire passer l'auteur et qui est la régénération du christianisme par sa synthèse avec l'animisme africain. En fait de synthèse, Paraz parvient, cette fois involontairement, à offenser les fidèles de toutes les religions, et les athées par-dessus le marché.

Le sort s'acharne sur Paraz. En 1955, il se découvre atteint d'un cancer qui lui laisse juste assez de forces pour faire le voyage jusqu'à Meudon en juin 1956 et rencontrer Céline pour la première fois depuis la guerre. L'entrevue ne se passe pas comme l'aurait voulu Paraz. Céline reste froid, semble vouloir maintenant tenir à distance le colosse fragile qui a tant donné, et notamment sa carrière littéraire, pour le défendre. Toujours généreux, Albert Paraz ne lui en tiendra aucune rancune et lui rendra encore deux fois visite.

Continuant de publier des articles, d'écrire des romans policiers, il entame un nouveau combat, pour l'avenir de l'Afrique du nord. Dès 1957 il met en garde : une fois l'Algérie indépendante, Arabes et Kabyles s'affronteront. La seule réponse aux revendications indépendantistes est selon lui l'intégration, qui passe nécessairement par l'émancipation des femmes algériennes.

La maladie qui l'épuise physiquement ne lui ôte donc rien de sa combativité. En mai 1957, il obtient la condamnation en justice de L'Express à 100.000 f. de dommages et intérêts et 50.000 f. d'amende. L'hebdomadaire avait prétendu à tort que Paraz avait été " condamné pour faits de collaboration ". Et il croise le fer avec les gens de Rivarol que le nouveau roman de Céline, D'un château l'autre, a ulcérés par sa description peu flatteuse des milieux collaborationnistes. Paraz à cette occasion s'oppose violemment à Cousteau : " Pour Cousteau, il y a le Bien (Pétain, Laval, Darnand), le Mal (De Gaulle, Bidault, Thorez), le Paradis (L'Espagne, le Portugal), l'Enfer (URSS, Chine, Yougo) ! Il ne peut comprendre Céline qui voit tout charogne. C'est pourtant lui qui a raison. "

La dernière lettre qu'il écrit est encore pour défendre Céline. Le 2 septembre 1957 Paraz meurt à Vence, victime d'un infarctus. Il a 58 ans.

Dans le journal C'est à dire, Céline salue ainsi la mort de son plus fougueux défenseur : "La mort apporte avec elle un grand bien : le Silence! Eh, foutre, que ce n'est pas l'avis des survivants! "Les grandes douleurs sont muettes", j'entends une de ces bacchanales autour du pauvre Paraz qui me fait penser qu'elles sont là bien petites. Les anciens mobilisaient les pleureuses, maintenant, on les filme, on enregistre leurs clameurs. De quoi s'agit-il? Sottise? Hystérie? Publicité? au choix! Si les morts pouvaient nous entendre, voudraient-ils entendre rien d'autre qu' "Au revoir! à bientôt!" Tout le monde est indécent."

Marcel Aymé, le silencieux, est plus prolixe : "Ce qui me touchait le plus chez lui, c'était une espèce d'anxiété et d'avidité de la vérité, qui le tenait même aux moments les plus détendus de la conversation (...) Il s'était fait une exigence de dire librement ce qu'il pensait et aussi bien de l'écrire. Ses chroniques étaient pour ceux qui les lisaient un solide réconfort, car c'en est un de savoir qu'il existe des êtres tels que Paraz honnêtes et libres."

Alexandre Breffort, pourtant opposé aux idées de Paraz, le salue avec affection : " C'était un grand douloureux et il faut être un électeur bâté pour le classer dans un sordide tiroir politique. Au reste il suffit d'avoir vu son regard bleu et son sourire d'enfant pour ne pas douter de son cœur. Il gueulait, il hurlait, il invectivait et j'étais persuadé pas dupe de ses violences, de ses outrances, que c'était là sa façon d'aimer. "

Le plus bel hommage vient cependant de Jean Galtier-Boissière, le très pacifiste et non-conformiste directeur du Crapouillot : "Avec Albert Paraz, âme indomptable dans une carcasse fragile et chancelante, disparaît l'un des très rares hommes libres de l'époque."

Sur la tombe d'Albert Paraz au cimetière de Vence, sont gravés un soleil et ces mots : " Au revoir! à bientôt!"

Et l'oubli a englouti Albert Paraz. Si son nom apparaît dans les ouvrages consacrés à Céline ou, hélas, à Rassinier, son oeuvre, qu'il a sacrifiée à ses idées et ses amitiés, demeure largement ignorée. Pourtant, Bitru, Le Roi nu ou Le Lac des Songes apportent un éclairage original sur la France des années trente. Pourtant Le Gala des Vaches et Valsez saucisses comptent parmi les plus beaux livres écrits sur le monde des malades et de l'hopital. Pourtant Une Fille du Tonnerre avec sa liberté de ton et son flic anti-flic annonce le polar contemporain. Mais Albert Paraz représente le pire cauchemar de notre civilisation : un non-conformiste authentique, un réfractaire absolu, un énergumène qui s'échine à penser seul envers et contre tous.

A une époque où le mot rebelle est un argument publicitaire aussi vide de sens que les autres, où les petits marquis de la réclame empochent le beurre et l'argent du beurre, passent d'un râtelier l'autre avec la même et cruelle absence de talent, imaginons un instant l'effroi avec lequel la société médiatique accueillerait un Paraz qui déclarerait : "Tenez. Je me lavais toujours les dents au Colgate. L'infirmière m'a pris ce dentifrice au hasard et je m'y suis tenu. J'ouvre Dimanche-Soir et je vois toute une page qui somme le gens de se laver les dents au Colgate. Toute une page! Je me dis : là ils exagèrent, ils se foutent de moi et je donne des ordres féroces pour qu'on m'achète dorénavant n'importe quoi sauf du Colgate. Voilà l'homme. Et pendant que j'y suis j'interdis qu'on m'achète du Gibbs aussi. Non mais sans blague! Je demande au potard de me trouver une formule à lui ou une marque qui ne fasse pas de publicité. Observez avec soin la réaction. Je ne me dis pas : ils déépensent tellement d'argent, qu'est-ce qu'il faut qu'ils gagnent avec leur saloperie! Ou bien voilà une page que je paie deux francs! Non! C'est beaucoup plus instinctif. Je ne le raisonne pas. Je n'aime pas qu'on me cherche!"

Paraz ne cherche ni l'approbation, ni les honneurs. Ce qui le pousse à écrire, à gueuler, vient du plus profond de lui. L'idée même d'injustice lui est insupportable. Et tant pis s'il se trompe parfois! Parlant d'une de ses amies, résistante authentique, qui avait cependant caché et protégé un collabo, il dit : "C'est un danger social. Elle est bonne. La bonté à ce point ça doit être rayée de la terre. Mais cet homme, direz-vous, est peut-être un assassin? Je ne veux pas le savoir. Elle non plus. Ça ne nous regarde pas. Qui sommes-nous pour juger?"

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