LES EXCENTRIQUES
ALBERT PARAZ - INTRO ET SOMMAIRE
 
Albert Paraz
 
Albert Paraz   Un Homme Libre

7 - Le mensonge d'Ulysse

   
  (all rights reserved)
 
(all rights reserved)
 


"Il n'y a aucune raison pour que les déportés aient plus le droit de se mettre en avant que les anciens combattants, les blessés du poumon, les prisonniers, les évadés et même les déserteurs, les cocus de guerre ou les maris des tondues. Je vous pisse au train. Salut et fraternité."


Son goût de la contradiction pousse la même année Albert Paraz à se faire l'avocat d'un bien vilain diable. Comment en vient-il à préfacer Le Mensonge d'Ulysse de Paul Rassinier? Certains auteurs prudents, notamment l'ineffable Noël Godin dans son Anthologie de la subversion carabinée, préfèrent, pour leur confort intellectuel et celui de leurs lecteurs, ignorer la question. Au contraire Jacques Aboucaya, dans Paraz le rebelle, a le grand mérite de ne pas noyer le poisson et de parler franchement de l'antisémitisme de Paraz. Il ne s'agit pas ici de justifier ou de condamner les opinions d'un mort mais d'essayer de les exposer de la façon la moins caricaturale possible.

Avant la guerre, les milieux anarchistes révolutionnaires, pacifistes et internationalistes, sont prêts à tout sacrifier à la paix, y compris les Juifs, présentés comme des agents du capitalisme anglo-américaine et des fauteurs de guerre. Bon nombre de pacifistes, qui se sont opposés à Léon Blum le "belliciste", dérivent tout naturellement après la défaite vers Vichy ou même le fascisme à la Déat. Paul Rassinier, socialiste libertaire convaincu, est passé par le P.C.F. avant d'entrer à la SFIO. Résistant et déporté à Buchenwald puis à Dora, Rassinier entend démontrer que "tous les régimes sont odieux puisque tous recourent à la guerre" et "dénoncer l'imposture sur laquelle reposaient les idéaux démocratiques" (Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme). Fidèle à l'idéologie des anarchistes révolutionnaires, il considère que communistes staliniens et démocrates occidentaux ont trouvé dans la lutte antifasciste un alibi pour justifier leur oppression du prolétariat et ont exagéré les crimes nazis pour dissimuler leurs propres exactions. Rassinier, mort oublié en 1967, sera redécouvert par Robert Faurisson, figure de proue du négationnisme, et toute une partie de l'extrême-gauche (notamment par Pierre Guillaume, directeur de la maison d'édition La Vieille Taupe, qui le réédite).

Le sentiment anti-juif qu'affiche Paraz découle sans doute en partie de ses liens avec les anarchistes révolutionnaires qui maintiennent l'antisémitisme socialiste de Proudhon. Et ce n'est pas une surprise de le voir, en 1948, s'en prendre violemment à l'état d'Israël et tenir un discours antisémite et antisioniste que rejoignent exactement ceux qu'on entendra à la conférence de Durban en septembre 2001. Mais ce sentiment n'est, au fond, ni doctrinal, ni racial. Il relève, selon les propres termes de Paraz plus de "l'irraisonné" que du "raisonnable". L'antisémitisme, explique-t-il, naît de la peur de l'autre, de l'inconnu : "L'antisémite qui ne change pas est celui qui connaît très peu les Juifs, qui voit leurs petits défauts comme des montagnes, qui note les différences, de l'ordre du centième, sans tenir compte des 99 pour cent de similitudes." Il faut aussi bien comprendre qu'avant guerre, en France, l'antisémitisme apparaît comme une opinion parmi d'autres. Si elle est loin de faire l'unanimité, elle choque peu de gens. Il suffit pour s'en convaincre de lire les compte-rendus dans la presse du Bagatelles pour un massacre de Louis-Ferdinand Céline. André Gide écrit : "Céline excelle dans l'invective. Il l'accroche à n'importe quoi. La juiverie n'est ici qu'un prétexte qu'il a choisi le plus épais possible, le plus trivial, le plus reconnu, celui qui se moque le plus volontiers des nuances (...) Et Céline n'est jamais meilleur que lorsqu'il est le moins mesuré. C'est un créateur." Emmanuel Mounier, dans Esprit, se demande s'il s'agit d'une plaisanterie et René Vincent dans Combat y voit "les aveux du Juif Céline"! En 1939 Paraz écrit dans Les Humbles, une revue d'extrême-gauche : "Laissez donc aux antisémites le droit de sublimer leurs complexes dans le cadre des partis ou des conceptions démocratiques, et vous aurez ôté une arme au fascisme."

Paraz est un antiraciste. Toute sa vie, il plaide en faveur du métissage. Ce qui l'amène, vis-à-vis des Juifs, à cette position : "La seule loi efficace contre le racisme, ce serait une loi qui oblige les Juifs à n'épouser que des aryennes. On y viendra. C'est le bon sens. Les Juifs juifs, citoyens de Palestine, avec passeport hébreu. quant aux autres, ceux qui veulent s'assimiler, prière de ne pas les considérer comme Juifs. pour ma part, je me refuse à appeler Juif un mélangé." Cette vision assimilationniste, guère différente de celle que professe Sartre en 1946, prétend faire ainsi disparaître l'antisémitisme et la haine entre les peuples : "Si on veut un jour faire vivre l'Europe, il faudra bien oublier les patries. Un fils de Russe et d'Espagnol vivant à Berlin ne sera plus ni Russe ni Espagnol. Mais essayez de dire cela, qui est le bon sens même, aussi bien aux Juifs qu'aux antisémites, vous les voyez une fois de plus d'accord dans une réprobation horrifiée. Ils perdent leur raison d'être, c'est donc là qu'est la vérité..."

Après la guerre, Paraz condamne bien évidemment les persécutions contre les Juifs. Selon lui, après la guerre, les antisémites d'hier, comme Céline, maintenant qu'ils sont "persécutés à leur tour", ne peuvent que changer d'avis. Leurs déboires constituent "un fait nouveau et d'importance, c'est de donner de l'imagination à ceux qui en étaient dépourvus et qui ne se représentaient pas les angoisses des Juifs du moment qu'elles leur étaient épargnées. (...) Mais dès qu'on se sent torturé, on compatit assez naturellement avec ceux qui ont vécu cela. On pense à leur mère parce qu'on pense à sa mère. "

Et il ajoute : "Quant à l'antisémite qui ne changera jamais, c'est le nerveux qui croit en une supériorité quelconque (parfaitement absurde et imaginaire) des Juifs. C'est pourquoi ceux-ci ont le plus grand tort de se laisser aller à l'immodestie, elle est dangereuse et toujours injustifiée. s'il y a des Juifs remarquables (alors sans prétention), il en est de vrais cons et ce sont ceux-là qui sont vaniteux. Tout comme les Aryens bien sûr." Paraz ne peut donc s'empêcher de rendre les Juifs en partie responsable des malheurs qui les accablent! Son soutien inconditionnel à Céline lui inspire cette explication extravagante de l'antisémitisme de l'auteur de Bagatelles pour un massacre : "Les raisons qui poussent un nerveux à souffrir de voir son pays dominé par les juifs, sont les mêmes qui lui rendent insupportable la présence d'une armée occupante"!

Même si Paraz, par haine des fascistes, par horreur de la souffrance des autres, ne hurle pas avec la meute des loups, il ne dissimule pas une aversion certaine vis-à-vis des Juifs qui "se nourrissent d'un folklore qui les persuade qu'ils sont injustement victimes, que leurs échecs sont causés par la jalousie, que cette jalousie vient de leur supériorité et, le comble, que leur qualité de Juif est un obstacle à leur réussite, inéluctable, envers et contre tous".

On a tort donc, nous semble-t-il, d'arguer de cette préface pour ranger Paraz dans les rangs des négationnistes. Le soupçonner de sympathie pour les nazis qu'il traite de "vampires imbéciles et sinistres" est ridicule. Et il faut noter que, dans Le Mensonge d'Ulysse, Rassinier ne met pas encore en cause l'existence des chambres à gaz ou des fours crématoires mais doute de leur nombre et de leur usage systématique. Ce n'est qu'en 1962, avec Le Véritable Procès Eichmann, qu'il niera leur réalité et accusera les Juifs de falsifier l'histoire pour " faire financer, par un Occident culpabilisé, la construction de l'Etat d'Israël " (Léon Poliakov, Histoire de l'antisémitisme).

Il ne s'agit en aucun cas, pour Paraz, de nier la Shoah : " La vérité doit être connue au plus vite, et voici pourquoi : parce que si les millions de juifs qui manquent en Pologne ne sont pas tous passés par les chambres à gaz, il est encore plus inquiétant de savoir qu'ils ont quand même disparu. " S'il se bute sur la question de la "chambragaz" (qu'il semble parfois confondre d'ailleurs avec les fours crématoires), c'est au nom de la défense de ce qu'il croit être la vérité historique et non pour absoudre les nazis de leurs crimes : "Et maintenant, j'en viens au travail de Paul Rassinier. Il est une partie où je refuse absolument de le suivre: celle où il a l'imprudence d'ergoter, chipoter, chicaner sur les témoignages, à propos des chambres à gaz. (...) En fait, nous comprenons ce qu'a voulu dire Rassinier, et l'affaire G.... le prouve. Il a voulu dire que beaucoup de gens parlent des chambres à gaz et ne les ont jamais vues, ce qui est agaçant pour qui veut faire un travail d'historien. Mais le travail d'historien n'est pas fait pour la place publique: je conjure Rassinier de bien préciser que des chambres à gaz il y en a eu, d'y insister et, s'il ne le fait pas, je me retire de ce guêpier. Parce que, figurez-vous, même si elles n'avaient pas servi, ou si elles avaient servi à la désinfection, ou servi par hasard, sans ordre d'en haut, ça n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est que les nazis ont déporté des tas d'innocents qui ne sont jamais revenus". En fait, pas plus que Sartre à l'époque, Paraz ne comprend la spécificté du peuple Juif ni le caractère singulier de la Shoah.

En réalité, si on lit la préface que Paraz donne à Rassinier, on s'aperçoit bien vite qu'elle n'aborde que périphériquement l'extermination des Juifs. Elle est pour l'essentiel une nouvelle bordée contre le "résistantialisme", l'épuration et ceux qui ont profité du malheur général pour avancer leur intérêt particulier. Mais aussi de défendre l'idée qu'il se fait de l'Europe de demain.

Paraz veut à tout prix éviter que la haine des nazis se transforme en haine des Allemands. Rejetant la responsabilité de "l'infernale tornade qui a saccagé l'Europe" sur les "patries agressives", Paraz croit que la paix ne peut exister que par la dissolution des patries dans l'Europe : "Cela ne va pas être facile, il faudra d'abord rassurer, il faudra passer son temps à rassurer. Montrer que les unions franco-allemandes ne visent personne, mais invitent tout le monde. Et la présence par moitié (pas moins) de la France est seule capable d'apaiser les Etats d'Europe plus petits, qui ont gardé méfiance des Teutons."

Cependant en cette année 1950, Le Mensonge d'Ulysse fait avant tout scandale pour sa mise en cause du rôle du Parti Communiste dans la résistance et les camps de concentration (et notamment l'élimination des trotskistes). Le sort des Juifs intéresse alors beaucoup moins l'opinion publique française que celui des prisonniers de guerre, des hommes du S.T.O. ou des déportés pour actes de résistance. Les procès intentés à Rassinier et Paraz sont le fait d'une part d'associations de déportés, qui seront déboutées en appel en 1954, et d'autre part d'un ancien ministre, Edmond Michelet, diffamé par Paraz qui l'a accusé à tort d'avoir "vendu de l'épicerie" aux Allemands, et qui finira par retirer sa plainte sur l'intervention d'André Malraux. Entre-temps Rassinier, en négociation avec la N.R.F. por une nouvelle édition de son livre, a courageusement abandonné Paraz dont il supprime la préface des rééditions successives du Mensonge d'Ulysse.

Dans Le Gala des Vaches, Paraz raconte : "La première lettre que je reçois au sujet de la streptomycine vient des États-Unis, d'une petite Juive. Une soeur que j'avais piquée à Montparnasse du temps de Miller; elle s'est rappelée que je l'avais mise au pernod et emmenée dîner à Montmarte, aux lampes à pétrole, et qu'on avait rencontré un troupeau de chèvres, choses sublimes qui lui ont laissé un souvenir enchanté. (...)
Je l'ai vue deux jours en tout. Elle était hauite comme trois pommes et sans le sou : une institutrice. Le plus fort, je n'avais pas son adresse. C'est un mystère. elle m'annonce l'envoi de 17 grammes par avion. (...)
Il est un fait que pas un seul de mes frères aryens n'a eu un geste. J'ai dû acheter de la streptomycine au marché noir et mon médecin aryen est venu à ce moment là même me réclamer 20.000 francs.
Mais la petite Dorothy dont je ne savais rien depuis douze ans m'envoyait 17 grammes par un aviateur, qui se les faisait d'ailleurs faucher au Bourget par notre admirable administration.
Et Dorian ouvrait pour moi une souscription dans Aux ÉEcoutes. il mettait 1.000 francs et Paul Lévy 5.000 francs. J'écrivis à celui-ci que je devais le prévenir que j'étais un ami de Céline. il les a donnés tout de même."

ALBERT PARAZ - INTRO ET SOMMAIRE

 

 
   

 
Les Excentriques > Albert Paraz > 7 - Le mensonge d'Ulysse