LES EXCENTRIQUES
ALBERT PARAZ - INTRO ET SOMMAIRE
 
Albert Paraz
 
Albert Paraz   Un Homme Libre

6 - Valsez saucisses

   

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"Des millions d'indifférences ne valent pas une ferveur. une ferveur partagée par les vivants et les morts, une ferveur partagée par les vivants et ceux qui ne sont pas encore nés, pour ceux d'entre nous qui survivront."


Malgré tout, et d'abord la maladie qui le torture, Paraz s'amuse : "Si l'on m'avait dit, il y a deux ans, que je ne devais plus baiser, plus fumer, plus boire d'alcool et bien entendu plus voir de théâtre et de cinéma, j'aurais pensé il n'y a qu'à se faire sauter la cervelle. Maintenant je me suis si bien fait à cette idée que la lettre de Céline me réconforte, et je n'ai jamais trouvé la vie aussi passionnante."

Et il écrit, poussé par le besoin de s'exprimer, pressé par la maladie et la pauvreté : "Il faut vivre d'abord, il faut aimer, souffrir, il faut écrire des pages et les jeter jusqu'au jour où la phrase jaillit, où s'impose le mot, où les fantômes de la pensée prennent leur forme vive. Il n'y a plus qu'à noter, à toute vitesse, sous la bousculade des images qui se pressent dans les dédales de l'insomnie." Fin décembre, paraît en librairie Vertiges, publié par Le Bateau Ivre. Paraz y poursuit les aventures de Florence, l'innocente héroïne de Remous. L'Argentine sert de toile de fond à divers épisodes licencieux qui permettent à l'auteur de faire valoir sa connaissance encyclopédique des us et coutumes sexuelles. " Il faut bien, s'excuse Paraz, que je passe le temps sans femme, sans tabac, sans picton. Voyez le résultat, une partouze qui dure 26 pages et, quand on arrive là, on pourrait dire tout ceci n'est rien, ça commence seulement. " Pour Jacques Aboucaya, " Vertiges est donc, en matière de littérature licencieuse, un monument dont la force évocatrice ne le cède en rien à celles des chefs d'œuvre du genre. L'écrivain y déploie "une imagination de bonne sœur ", aux dires de Céline, qui précise "je veux dire en puissance érotique. " (...) Paraz a su y réunir tous les ingrédients pour réussir le grand roman érotique que son ami Pyeire de Mandiargues appelait de ses vœux."

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En février 50, une partie des pensionnaires de l'Adastra obtient qu'on renvoie Paraz de l'établissement. Il est alors contraint de loger dans une pension de famille, Les Palmiers. Ces conditions de vie précaires ne l'empêchent pas de récidiver dans le mauvais esprit avec la publication en juin 1950 de Valsez, saucisses. A nouveau, Paraz publie des lettres de Céline. A nouveau, il s'en prend aux juges, aux flics, aux bourreaux et à la foule imbécile qui toujours réclame du sang : "Tas de cons, quand vous hurlez à la mort, quand vous couvrez un vaincu de crachats, quand vous arrachez un lambeau de la chair d'un supplicié, pensez qu'il existe une balance qui l'enregistre à la vitesse de la lumière et que l'addition électronique se fera sur vos propres fesses, qui commencent à être marquées à la seconde de votre infamie, même si personne ne l'a vue. A plus forte raison si vous étiez tellement sûr de votre droit que vous l'avez crié sur les toits."

Mais le livre n'est pas qu'un pamphlet et, comme Le Gala des Vaches, offre aussi un tableau saisissant, lucide et humain, de la vie et de la mort des patients d'un sanatorium. Même si la maladie le ronge, Paraz garde toutes ses capacités d'indignation. Rarement on a mieux décrit le monde de l'hôpital que dans Le Gala des Vaches et Valsez saucisses. Se plaçant naturellement du côté des malades, que médecins et infirmiers traitent trop souvent non comme des êtres humains mais des objets, il chronique le combat quotidien contre la maladie, l'espoir auquel on se raccroche malgré tout et la dignité, le courage de ceux qui luttent contre la souffrance, la peur et la mort.

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Paraz met autant d'énergie, de conviction et d'émotion à prendre le parti d'une malade anonyme, d'une femme comme tant d'autres, qu'à défendre Céline, qu'il considère comme le plus grand écrivain français. Un chapitre entier de Valsez Saucisses est consacré à l'histoire de Cladie, une des voisines de sanatorium de Paraz. Très malade, la jeune femme grave son nom sur les cactus pour laisser une trace. "Cet appétit de se survivre ça me vrillait le cœur", avoue-t-il. Pour faire plaisir à Cladie, il donne son nom à un des personnages du roman qu'il est en train d'écrire. Mais rien ne peut conjurer l'issue fatale : "Avec le P.A.S. et la streptomycine, on aurait pu la sauver, Cladie, en Suisse, ou ici dans dix ans. On n'a même pas essayé, elle ne supportait rien. Madame Ouince la soutenait avec du solucamphre et ce qu'il faut de morphine. Cladie a dit à la bonne : il faut souffrir pour mourir. Et puis son mari est venu. Il s'était mis avec une autre, c'est forcé. Un homme jeune. Il lui a passé une bague au doigt. Elle souriait. Elle a souri jusqu'au soir. Elle est morte à six heures ce matin. Tous les malades d'ici ont fait une poussée fébrile. On lui a mis sa robe et on l'a maquillée. Madame Ouince pleurait. Elle dit qu'elle est belle. Je ne veux pas aller la voir."

A l'émotion succède la colère. Paraz dénonce haut et fort les laboratoires pharmaceutiques qui, après la guerre, bloquent par appât du gain l'importation de médicaments étrangers : "Si Rhône Poulenc ne se donne pas la peine de faire du P.A.S.(acide paraaminosalycique) de bonne qualité c'est parce qu'il n'arrive même pas à écouler les tonnes de saloperie qu'il fait avaler aux cobayes des hôpitaux. Ceux qui le supportent, tant mieux; ceux qui ne le supportent pas, eh bien qu'ils crèvent! Qu'est-ce que ça peut nous foutre à nous autres, syndicat des fabricants, puisque nous empêcherons avec l'aide de la loi et de la police les malades français de se soigner ailleurs."

Hélas, la bonté et la générosité de Paraz, ainsi que l'originalité de son style, qui, on ne le répétera jamais assez, n'a rien à voir avec celui de Céline (si ce n'est l'usage de l'argot), sont éclipsées aux yeux des lecteurs par la virulence de ses colères et l'éclat de ses provocations. Jacques Aboucaya explique avec justesse que Paraz s'enferme peu à peu dans un rôle d'énergumène, qu'il est " victime - mais victime consentante - d'un non-conformisme qu'il érige en système avec une évidente jubilation. "

"Le seul péché, écrit Paraz, se taire quand on peut parler." Encore faudrait-il réfléchir avant de parler.

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