LES EXCENTRIQUES
ALBERT PARAZ - INTRO ET SOMMAIRE
 
Albert Paraz
 
Albert Paraz   Un Homme Libre

3 - Le lac des songes

   
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"Il n'y a pourtant, d'évidence, qu'un moyen de lutter pour la liberté, c'est d'ouvrir les prisons, qu'un moyen de lutter contre la guerre, c'est de jeter son fusil."


Le Roi Nu devait paraître en 1939 mais la guerre en décide autrement. Mobilisé le 31 août, Paraz rejoint la 104e Compagnie chimiste du 22e B.O.A. : "Il rejoignait parce qu'il est trop difficile de déserter. Il rejoignait pour ne pas perdre ses habitudes, parce qu'il avait affaire à Paris où sa petite amie l'attendait, avec surtout cet espoir d'y trouver une planque et de n'aller au front que le plus tard possible. Dans toutes ces raisons, pas trace d'héroïsme, nom de Dieu, surtout pas. Moins d'héroïsme qu'il lui en eût fallu pour rester en Suisse."

On affecte le canonnier de seconde classe Paraz, ainsi qu'un sous-officier nommé Michel Leiris, au centre de recherche de Beni Ounif dans le Sud Oranais, à la limite du Sahara. Dans le plus grand secret l'armée française y prépare "un explosif atomique" sans trop se soucier du risque pour les indigènes : " Les rares personnes qui vivent là n'ont pas beaucoup de relations et seront assez discrètes quand des nuages de mort ou des explosions à retourner le paysage viendront leur rappeler la civilisation. " Paraz a l'impression "d'être un jouet entre les mains d'un Tout-Puissant assez imbécile".

Pour se distraire et échapper aux corvées, il décore la cantine de fresques dont l'obscénité choque son colonel. L'officier, dont la devise, "Je veux bien être bête, je ne veux pas être bon", sonne magnifiquement militaire, doit freiner l'enthousiasme créateur de son subordonné. Paraz se résigne : " Je me contente de gracieuses jeunes filles, genre frêle et angélique, en train de tâter délicatement la tête du nœud du petit futé assis derrière. Ce n'est pas mal, je t'enverrai la photo. " Ces fresques lui attireront les foudres de la censure quand il les publiera dans l'édition illustrée du Lac des Songes en 1950.

Le Lac des Songes, sans doute un des meilleurs livres de Paraz, est publié en 1945 par une petite maison d'édition, le Bateau Ivre. Il raconte la vie d'une poignée de chimistes, dont Bitru, mobilisés et exilés en plein Sahara pour y construire une base secrète destinée aux essais d'armes non moins secrètes. Confrontés "aux vices du désert, noires saouleries et scrupules métaphysiques", tous ces "excellents Français" se trouvent, au détour d'un mirage, nez à nez avec l'infini, ce qui ne manque pas de provoquer quelques dégâts: "Il s'en alla droit devant, envoûté par les couleurs lunaires, la désolation achevée du paysage. La nudité totale eût été moins nue que ce chaos. Il grondait, issu du silence, un vaste bourdonnement qui vous soulevait en face de l'infini."

Au milieu de ce désert magnifique et terrifiant, au milieu de cette Afrique dont Paraz aime tant les peuples et les paysages, les hommes travaillent patiemment à leur propre destruction. Après le passage du nuage de mort, "les moutons n'étaient trouvés, gisant au fond de leur trou, que la tête giclant de partout une mousse sanglante, leurs yeux grands ouverts gardant figée une expression que nous ne pourrions décrire, aucune accumulation de mots n'en rendrait la terreur ensorcelée. Les hommes qui les emportaient à la dissection perdaient toute envie de plaisanter parce qu'ils tenaient, ballants sur leurs genoux, l'image de leur destin. Ces yeux agrandis concentraient dans leur cercle pur, l'insoutenable incompréhension des mortels devant le mal et devant l'au-delà."

Le Lac des Songes vaudra à Paraz les félicitations de ses pairs : Mandiargues, Cendrars, Bernanos ou Pierre Mac Orlan qui écrit : "Nous sommes dans le royaume quelquefois merveilleux de la misère des hommes, dont les couleurs sont parfois plus violentes que celles de l'aventure. Paraz est un écrivain passionné dont le caractère littéraire est net et dépouillé d'influences."

Au début de l'année 1940, le destin rattrape Paraz. Alors que malade et fatigué (il a perdu 16 kilos depuis la mobilisation), il tente de se faire affecter en France, survient un accident mystérieux qui lui vaut l'honneur douteux d'être le seul soldat français gazé de la guerre, et qui plus est par son propre camp. Rapatrié le 24 février 1940, il est réformé à 100%. Le voilà de nouveau sur le pavé de Paris, sans emploi ni argent, à l'exception de sa modeste pension d'invalidité. Pire, les gazs inhalés ont réveillé et aggravé une tuberculose contractée dans les années 20.

A peine a-t-il eu le temps de se faire engager par l'agence de presse Opera Mundi que la guerre tourne mal. En compagnie d'une amie, Kate von Porada, peintre et sculpteur, maîtresse du peintre Max Beckmann, Paraz quitte Paris en voiture. N'ayant de sympathie ni pour le maréchal Pétain, ni pour le général De Gaulle, ni pour les Allemands, il s'enfuit "héroïquement jusqu'à Monte Carlo, ne pouvant aller plus loin."

Sa haine de la guerre et son antimilitarisme se satisfont de la défaite des armées françaises. Mais il n'y voit, au contraire des partisans de Pétain, ni honte, ni humiliation. Bien au contraire ! En déposant les armes, en partant en débandade, les Français ont fait acte de raison : "La France n'a jamais été si grande. Pour la première fois dans l'histoire un peuple a compris. (...) Tonnes d'acier contre tonnes d'acier, qu'est-ce que cela prouve?"

Des amis anglais ont demandé à Kate de garder leur appartement de Monte Carlo. Elle y héberge volontiers Paraz ainsi qu' André Pieyre de Mandiargues, avec lequel il travaille à Radio-Nice en 1942, animant une émission consacrée à la grammaire, "Les dialogues du professeur Polycarpe." Au mépris d'une santé chancelante, Paraz se baigne, joue au tennis, s'expose au soleil, exercices particulièrement déconseillés à un tuberculeux.

S'il continue d'écrire, il lui faut recourir à divers expédients pour trouver de l'argent. Tous les après-midi il se rend au casino essayer des martingales dont il remplit des carnets entiers. Sous ses allures de grande gueule cynique, Paraz garde une naïveté enfantine. Il croit à la roulette comme il croit à l'occultisme et s'imagine même des dons de jeteur de sort. Hélas la roulette, elle, ne croit pas en Albert Paraz. Pour faire bouillir la marmite, il doit donc plus prosaïquement recourir à son talent, réel celui-là, de peintre. Sous la supervision de Kate von Porada, il produit de faux Beckmann à la chaîne.

Poursuivant ses activités pacifistes, Paraz aide des réfractaires à se cacher: "J'ai organisé des maquis moi aussi mais des maquis de réfractaires, des vrais. Des types qui foutaient le camp comme le vent dès q'on faisait mine de leur coller un fusil entre les mains. pas des maquis militaires. Pouah! A bas l'armée. Même en civil." Il se lie avec un groupe de scénaristes, réfugiés à Antibes car la plupart sont juifs. Lorsque les Allemands occupent la zone libre, Paraz prête son appartement de Paris à Henri Calef, juif et résistant, pour qu'il s'y cache. Il n'agit pas par patriotisme ou conviction politique mais par solidarité avec ceux qui sont dans la détresse : " Je n'ai jamais cessé d'aider des gens qui partaient pour Londres, je donnais des passages pour l'Espagne et je ne me suis jamais cru résistant pour cela. Je parle allemand et quand je rencontrais des Fritz je leur disais : Hitler l'a dans le cul. Ils étaient ravis, on allait boire. Dix fois que ça m'est arrivé."

Entre 1942 et 1944, Paraz vend sept nouvelles à Je Suis partout. Ayant écrit jusque là pour tous les organes de presse possibles et imaginables, il ne s'intéresse pas à l'orientation politique du journal. Mais sa soif de reconnaissance littéraire est flatté par le voisinage avec des auteurs comme Claude Roy ou Marcel Aymé. Ces textes, alimentaires, ne touchent ni de près, ni de loin à la politique : "Ce que j'écris pourrait être publié partout, sauf dans la Veillée des Chaumières." D'ailleurs, à la Libération, le Comité National des Ecrivains, chargé de l'épuration du monde des lettres, ne les lui reprochera pas.

A partir de 1944, l'état de santé de Paraz se détériore dramatiquement et son existence va désormais se dérouler d'hôpital en sanatorium. En avril il réside à celui de Villaudé en Seine-et-Marne, d'où quelques escapades l'emmènent à Paris. Il se trouve dans la capitale en août 1944 pour la libération et y fait deux prisonniers allemands: " Il faut dire qu'ils ne demandaient que ça." Pour les soustraire à la vengeance de la foule, il les ramène au sanatorium.

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