LES EXCENTRIQUES
ALBERT PARAZ - INTRO ET SOMMAIRE
 
Albert Paraz
 
Albert Paraz   Un Homme Libre

2 - L'homme à tête de lion

   
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"Le travail est une toute petite partie de l'activité humaine, pas plus honorable que la digestion, le tout-à-l'égout, la désinfection des urinoirs, fonctions nécessaires où il est idiot de voir le but de la vie."

Pour renflouer ses finances, Albert Paraz hésite entre le jeu et les affaires. Quand il ne perd pas son argent aux courses, il l'investit dans des entreprises calamiteuses telle l'invraisemblable Société en participation Le Calpéride, Calendrier Perpétuel Idéal. Entre 1928 et 1936, il va d'un métier l'autre, exerçant avec des fortunes diverses l'emploi de journaliste, fakir, représentant en aspirateurs, marteaux-piqueurs ou pâté de foie du Périgord, détective privé, vendeur de champignons, figurant de cinéma, etc.

Certaines de ses activités sont encore plus étranges : "Vers 1928, je fis un numéro dans une boîte de nuit, les Quat'femmes, où je présentais l'homme à la tête de lion." Paraz rédige lui-même le prospectus publicitaire : " Absolument unique au monde, ARISTIDES L'HOMME LION, phénomène surréel qui bouleverse. La présentation de ce monstre par le professeur PARDOZ est absolument sans danger, et, de plus, instructive. Il est vivant, en chair et en os. (…) Les messieurs seuls peuvent toucher. (…) Les docteurs sont invités à monter sur la scène (pédérastes, sadiques, masochistes s'abstenir dans leur intérêt. "

En 1936, parait son premier roman Bitru ou les Vertus capitales, dont il avait commencé l'écriture en prison. D'abord refusé par Gallimard, Grasset et la plupart des éditeurs de la place de Paris, le manuscrit est accepté par le Belge Denoël en 1934. Bitru est le nom d'un démon décrit en 1855 dans les Histoires disparates et Discours des Illusions et Impostures comme devenant "admirablement beau" quand il prend forme humaine. Paraz en fait son porte-parole et lui prête son existence et ses opinions. Bitru prêche l'insoumission et l'anarchie. Il rêve d'une révolution " qui disperse et balaie socialistes autant que modérés ", car " L'erreur, on devrait dire la folie criminelle, des révolutionnaires, est de vouloir abattre des forces haïssables par un faisceau de même nature, bouffer du fasciste et devenir superfasciste. Ce qu'il faut, c'est désagréger ces forces également mauvaises, puisqu'elles s'équilibrent. c'est miner, tarauder lentement et sans trêve. Tout faire sauter! Ce serait une preuve d'amour… " Il dépeint le monde des chômeurs, des prisonniers, des exclus. Comme son personnage, c'est une "confuse et lourde méfiance" qui l'entraîne vers la gauche : "Un jour, il trouva la vraie formule :"Bourgeois" restait pour lui la grande injure."

Le roman fait un bruit certain. La feuille anarchiste Vendémiaire s'enthousiasme : " Il nous apporte la chose la plus rare, du nihilisme pur. " A Montparnasse, Paraz fréquente les mêmes cafés que les anarchistes, notamment Louis Lecoin, et les surréalistes. Lui qui se décrit comme " un pur produit du gauchisme de la petite bourgeoisie française " a flirté avec le Parti communiste avant d'en être chassé au moment du Congrès de Tours en 1920. On le retrouve en 1938 s'associant, aux côtés de Jean Giono, Henri Poulaille, Victor Serge ou encore Jacques Soustelle aux activités de la Fédération internationale de l'art révolutionnaire indépendant, née de la rencontre à Mexico d'André Breton et Léon Trotsky. Il propose sa collaboration à Clé, l'hebdomadaire pacifiste de Poulaille et Breton, dont le gérant est Léo Malet : "A ce moment-là, raconte Malet, Paraz, c'était vraiment l'ultra-gauche! (...) Il n'y avait pas plus non conformiste que lui, baiseur à tout va, enfin le personnage étonnant. Pour un numéro de Clé, Paraz avait écrit un article contre l'Action Française, absolument extraordinaire. Un article tout à la fois en faveur du marquis de Sade et contre l'Action Française. (...) Malheureusement cet article était destiné au numéro 3 de Clé, qui n'a jamais vu le jour." Paraz écrit aussi pour le Libertaire.

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Grand et costaud, Paraz participe "physiquement" à la campagne en faveur de Sacco et Vanzetti. Il en garde un souvenir ému : "Le peuple de Paris se donnait le droit d'étendre à coups de matraque sur le boulevard Sébastopol le plus grand nombre possible de flics (...) Ceux qui n'étaient pas à la manifestation Sacco Vanzetti n'ont pas connu la douceur de vivre. Des agents de police hurlant de terreur se trissaient à toutes pompes, en jetant leur pèlerine pour courir plus vite. Joie, joie, pleurs de joie..."

En 1937, Denoël publie Les Repues franches de Bitru et de ses Compagnons, tableau de la France de la misère, des grèves et des usines occupées, qui est, pour Gérard Guegan, "l'une des meilleures peintures du pauvre tel qu'il est et non tel qu'il devrait être." Paraz y fait l'apologie de la désobéissance et de la paresse et affirme bien haut : "Il est urgent de déshonorer le travail." Dépassant de beaucoup Lafargue, il pose en idéal le farniente : "Le bonhomme qui glissait sur l'eau avait un tel air de supprimer le monde qu'il prêtait à rêver. Il y avait du nouveau sous le soleil, un oisif total, orgueilleux et conscient. Soutenu, entouré par la palpitation de son éclatante paresse, il éveillait l'espoir et la douce envie. Seuls les communistes stakhanovistes faisaient la grimace". Bitru et ses compagnons devancent de plus de trente ans les protestataires et hippies des années 60, qu'ils ridiculisent d'ailleurs par un immoralisme joyeux et une anarchie radicale. Ignorant superbement le pacte social, ils affirment : "La seule vérité, le seul idéal, c'est le refus de servir, le refus total".

L'écriture de Paraz se place dans la lignée de La Bruyère ou Jules Renard. Directe et précise, elle va droit au but : "L'adjectif est la pourriture du style, le parasite de la pensée. Le jargon politique en est plein (...) Dès que les pauvres couillons ont voulu abattre la tyrannie capitaliste, ils ont oublié qu'il fallait abattre la tyrannie. Mais non de Dieu! c'est la tyrannie, la tyrannie substantif qu'il faut abattre. Dès que vous lui collez un adjectif à la tyrannie, elle est sauvée." A ce goût pour le Français classique, Paraz joint une maîtrise parfaite de l'argot dont il joue à la fois pour renforcer l'ironie et la vigueur de ses sarcasmes et pour affirmer son refus de se prendre au sérieux. Imagine-t-on un philosophe, un normalien ou un académicien intituler leurs livres Valsez saucisses ou Le menuet du haricot?

Comme la belle et bonne littérature ne nourrit pas son homme, Paraz continue de tirer le diable par la queue. Tout lui est bon pour gagner un peu d'argent. Il propose de faire des traductions de l'anglais à Denoël qui lui confie un gros manuscrit, Barrières de Marie Amon : "C'est seulement en rentrant chez lui que Paraz s'aperçut que le manuscrit était en allemand. N'importe. Ce serait une bonne occasion pour l'apprendre. La difficulté était d'éviter les rencontres avec Marie Amon qui ne parlait pas français. "

Envoyé en Allemagne pour une série de reportages en 1935, Paraz se frotte aux nazis et soutient les communistes de la Sarre qui refusent le rattachement à l'Allemagne hitlérienne. Cette expérience le pousse à mettre en chantier un roman, Le Roi Nu, qui évoque l'histoire de la France et de l'Allemagne entre 1914 et 1938 et la faillite de l'espoir européen, à travers le destin de Paul Unruh, pacifiste allemand, qui passe de l'Allemagne à la France, de l'internationalisme à l'antisémitisme et de l'anarchie au fascisme. L'évolution du personnage, moins étonnante qu'il n'y paraît, est parfaitement analysée et Paraz décrit de façon saisissante le Berlin en proie à la guerre civile et à l'inflation, ou le Paris des journées d'émeute de février 1934. On y retrouve Bitru : "Un jeune Allemand avait demandé : "Messieurs, de quelle nationalité êtes-vous?" A quoi Bitru, Paul et un autre avaient absolument refusé de répondre. Ces jeunes gens eussent cru s'amoindrir en se particularisant. Dire : je suis Français, je suis Autrichien, je suis Russe, - rien que cela, c'était diminuer cette Europe à laquelle ils commençaient à croire."

Paul, chargé de famille, réduit au chômage, adhère au fascisme : "Une idéologie férocement antibourgeoise était venue remplacer dans la mémoire de paul les raisons d'intérêt - vite oubliées - qui l'avaient fait devenir fasciste, les jacasseries de sa femme qui trouvait si distinguée d'être pour l'ordre et pour les patrons. (...) Paul qui lisait Mein Kampf dans le texte, trouvait impayables et savoureuses les attaques d'Hitler contre le capitalisme, ses charges contre "les têtes de choux enveloppées dans un papier à diplômes", contre les bourgeois et contre les aristocrates."

Cet Allemand,le 6 février 1934, brandit le drapeau français place de la Concorde, entouré de ses compagnons, "ces braves repris de justice, qui dans une auto volée, criaient : "A bas les voleurs!". Bitru, alter-ego de Paraz, "qui se fiche absolument de l'idéal des nationaux, de leur mystique insondable et de leurs mots d'ordre", refuse de se joindre à eux et se mêle plutôt à "une vingtaine de jeunes gens pâles, hâves, des femmes en cheveux, disons le mot : sales, pauvres, du vrai prolétariat" qui brandissent le drapeau rouge et chantent l'Internationale.

A la fin du roman, Paraz évoque le pamphlet de Céline, Bagatelles pour un massacre : " Pour Paul maintenant, tout prenait un sens. Céline était une clef pour tous les grimoires, un phare pour tous les coins obscurs, un catalyseur qui résolvait la poussière de ses doutes, de ses velléités nébuleuses, petits bouts de Mein Kampf, slogans antinationalistes, hargne antitout, anticommuniste, antisocialiste, antifonctionnaire, en une énorme et solide entité. "

Paul rejoint les Croix de Feu. Bitru, qu'il emmène assister à un de leurs rassemblements, en tire une conclusion aussi pessimiste qu'ironique : "Je suis heureux d'avoir vu ça. quand on me disait : "il n'y a pas d'entente possible avec les Allemands, ces gens-là ne sentent pas comme nous, ils aiment marcher au pas, ils adorent les mots d'ordre", je ne savais que répondre. Maintenant, je sais. Les Français sont exactement pétris de la même argile. Donc tout est possible."

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