LES EXCENTRIQUES
ALBERT PARAZ - INTRO ET SOMMAIRE
 
Albert Paraz
 
Albert Paraz   Un Homme Libre

1 - La transformation réversible du masque à gaz en radis noir

   
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"J'ai fait des études scientifiques (...) Bon petit! Ou grand con, encore puceau à dix huit ans. C'est au régiment que j'ai appris le vice. Et puis après tomber en plein chômage. Tout le temps pour rêver!"


Vence, 1949. Appuyé sur ses béquilles, un grand escogriffe, debout au milieu de la chaussé, barre la route à la caravane du Tour de France en hurlant "Aux chiottes!". Aux policiers qui lui réclament ses papiers, Albert Paraz, 50 ans, invalide de guerre à 100%, répond: "Non, je ne veux pas avoir de papiers et me considérerai comme un homme libre quand personne n'aura plus de papiers du tout."

Albert, Louis, Pierre, Michel Paraz naît le 10 décembre 1899 à Constantine, Algérie, d'un père savoyard et d'une mère de souche catalane. Ironie de la vie, ce libertaire virulent qui affirme qu'entre la police et les assassins "C'est tout choisi : un assassin n'est pas forcément de la police tandis que la police est composée d'assassins", est le fils d'un maréchal des logis de la gendarmerie.

Mais s'il s'en prend furieusement au pouvoir et à ses représentants, policiers, juges, soldats, politiciens, médecins, Albert Paraz vise d'abord les institutions et rarement les individus. Lui qui toute sa vie prend le parti des faibles, des opprimés, des malades, des prisonniers et des réprouvés, affirme : "Je crois de plus en plus qu'il n'y a pas de métier absolument méprisable. Le seul ennemi, c'est l'esprit faux, le type qui met toujours le doigt à côté. Et ça se trouve dans toutes les professions, toutes les races, tous les pays et toutes les religions. " Et ce polémiste féroce, ce pamphlétaire brutal, ce provocateur énergumène avoue : " Si je méprisais les gens, je ne prendrais pas la peine de les engueuler. C'est ce qu'on oublie souvent. Le choix d'une tête de Turc suppose même une certaine considération pour la personne."

Quand il prend sa retraite en 1907, Jean-Marie Paraz quitte l'Algérie et installe sa famille à Neuilly où il a trouvé un emploi de concierge. De ses premières années, Albert Paraz gardera un attachement profond pour l'Afrique : " Vous ne pouvez pas savoir combien cela compte pour un enfant, au milieu des Parisiens, de se dire : moi, je suis Africain. " En 1911 il entre au Collège municipal Chaptal, où il se montre un élève intelligent mais dissipé, fréquemment réprimandé pour bavardage et mauvaise conduite.

Quand, en 1917, il s'inscrit à l'Ecole supérieure de physique et chimie industrielle de la Ville de Paris, Albert Paraz est un grand jeune homme blond d'1m 86. Sportif, il pratique la natation et le tennis, et abhorre le tabac. Il lit beaucoup et prend les études très au sérieux. Ce qui ne l'empêche pas de divertir ses condisciples, parmi lesquels un certain Pierre Joliot, par ses talents de prestidigitateur. Son triomphe, nous assure-t-il, est "la transformation réversible du masque à gaz en radis noir." Il n'hésite pas non plus à laisser libre cours à son goût pour la provocation : un jour il vole la mitrailleuse qui sert aux classes de préparation militaire et va la porter au Mont-de-Piété.

En 1918, ses qualifications scientifiques lui valent d'être mobilisé au 8e Régiment du Génie et affecté comme sapeur - radio au poste T.S.F. du Champ de Mars. Son séjour sous les drapeaux ne modifie en rien son pacifisme absolu: "Pas une seule idée ne mérite qu'on tue pour elle ou qu'on se fasse tuer. Soyez vainqueurs ou vaincus, exterminez vos adversaires ou laissez vous exterminer, vos arrières petits enfants n'y comprendront goutte, confondant tout et dans le meilleur des cas diront: ça fait quand même mal de penser que je descends d'un conneau pareil."

Rendu à la vie civile, Paraz cherche du travail comme ingénieur. Il est employé brièvement et successivement par la Hervittic Electric à Suresnes, puis par la Société de Transport Aérien et la Société Française de Radio. Les temps sont difficiles et on peut difficilement imaginer salarié plus récalcitrant. Albert Paraz "découvre avec enthousiasme que rien ne vaut comme de se faire embaucher pendant quelque temps, de bousiller le matériel ou de gifler le patron, ce qui fait flanquer à la porte avec une indemnité. Double avantage: d'abord il retarde le progrès scientifique, ce qui est toujours ça de gagné, et il peut vivre la moitié du temps sans rien faire".

Mais en 1924, Paraz a plus que jamais besoin de trouver un emploi. Il a épousé le 29 février Yvonne Martin qui a tout juste vingt ans. Leurs familles respectives s'entendent pour désapprouver cette union et penser, à juste titre, que la jeune femme est bien trop égoïste et frivole pour que le couple puisse durer.

Paraz s'installe avec Yvonne au 27 de la rue Montorgueil. Il y fonde l'Atelier d'art ORNO et se lance dans la fabrication et la vente du batik. Ses talents d'homme d'affaire s'avèrent négligeables : " Tous les margoulins de Paris se donnaient rendez-vous chez nous. Ils arrivaient, demandaient des échantillonnages et on ne les revoyaient plus… " Laissant imprudemment la comptabilité aux mains inexpertes de sa femme, Paraz améliore les fins de mois en vendant des articles et des caricatures à des journaux aussi divers que le Petit Parisien, Le Matin ou L'œuvre et cet anticlérical déclaré ne rechigne pas non plus à écrire dans La Croix. Grâce aux portraits qu'il réalise d'après photo et à sa belle barbe blonde, il se fait aussi une petite réputation de peintre à Montparnasse où on le surnomme Jésus-Christ.

Mais le mélange bohème et industriel se révèle désastreux. A la fin de l'année 1926, Paraz doit déposer le bilan de son entreprise. Pire encore on vient l'arrêter le 10 décembre. Ses créanciers ont porté plainte contre lui pour escroquerie et banqueroute. En prison, Paraz, lecteur vorace et éclectique, dont les goûts vont de Claude Farrère à Marcel Proust, " un modèle d'observation psychologique fouillée et sincère ", se rabat, faute d'autre choix à la bibliothèque, sur les romans de la comtesse de Ségur. Il met ces loisirs forcés à profit pour entreprendre l'écriture d'un roman et perfectionner auprès de ses compagnons d'infortune ses connaissances en argot.

Le procès se tient en avril 1927. Paraz sort du tribunal libre, après cinq mois de préventive, mais ruiné. Et Yvonne le quitte. Le coup est rude : " Je ne comprends pas les gens qui parlent d'un premier amour. Je ne peux pas croire qu'il y ait un premier et un second. " Ils resteront cependant en relation jusqu'à la mort de Paraz et se témoigneront une affection aussi sincère que durable.

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