LES EXCENTRIQUES
GEORGES DARIEN - INTRO ET SOMMAIRE
 
Georges Darien
La Belle France
   

 

LA BELLE FRANCE

"On ne saura jamais jusqu'à quel point les gens honnêtes provoquent les actes des criminels".

Caricature de Drumont dans Le Rire 
(all rights reserved)  
Caricature de Drumont dans Le Rire
(all rights reserved)

 

Après une dispute avec Savine, qui ne lui verse pas ses droits d'auteur, Darien reprend sa liberté et signe un contrat avec l'éditeur Stock le 25 juin 1890. Mais lorsque Darien lui remet le manuscrit de L'Ogre, il se heurte à un refus. Madame Veuve Stock redoute les suites judiciaires d'une éventuelle publication. L'Ogre est en effet un roman à clefs. Darien y règle ses comptes avec le milieu artistique et  littéraire, à commencer par Savine dont il fait, sous le nom de Rapine, un portrait peu flatteur: "Toutes les déformations morales, toutes les perfidies onctueuses, toutes les hypocrites malpropretés qui envahissent ,comme des champignons malsains, la conscience faisandée de ses compatriotes, (...)Rapine les avait concentrés en lui.". A Léon Bloy, Darien explique ainsi la genèse de son roman: "J'ai été spolié, moi pauvre, par un individu riche. Il me calomnie - c'est son métier - et je l'emmerde - c'est mon droit."

Darien y emmerde surtout une ennemi d'un tout autre calibre: le porte-parole des antisémites, Edouard Drumont, alors au sommet de sa gloire et de sa puissance. Darien exécute avec une verve sauvage l'auteur de La France Juive qui représente à ses yeux "la synthèse vivante de la troisième République française.", et son livre le "monument d'une ère de bassesse visqueuse et d'appétits voraces." Drumont, "cette parodie de justicier, cette raclure d'apôtre, cette caricature de prophète", a su parler "le langage de son temps, il a parlé exclusivement d'argent. Il s'est fait le héraut de la concupiscence universelle.

Face à Drumont, "au moral et au physique, le plus grandiose échantillon de crétinisme illuminé", Darien se représente lui-même sous les traits de Vendredeuil, l'écrivain révolté: "Le spectacle d'ignominies avait tué en lui toute pitié. Il faut dire que la pitié n'avait pas eu grand'peine à mourir (...) C'était avant tout, pour employer l'expression de Hobbes, un animal de combat.". On reconnait aussi, sous le nom de Marchenoir, Léon Bloy. Les deux hommes se sont rencontrés chez Savine et ont sympathisé. Bloy a d'ailleurs écrit lui-même la harangue que prononce Marchenoir contre Drumont.

Publié par Genonceaux, en mars 1891, sous le titre Les Pharisiens, le roman ne rencontre ni la critique, ni le public. Darien le regarde prendre le chemin "du Champ de Navets, tout seul, sans même un chien pour l'escorter, dans le corbillard des pauvres." Sans le sou, Darien doit emprunter quelque argent à son frère pour survivre.  Il tente aussi de placer des articles de critique d'art. Inexplicablement Le Figaro publie l'un d'eux, L'Envers de la Gloire, le 22 octobre 1892. Ce sera la première et dernière fois. L'éreintement auquel Darien soumet les concours et la peinture officielle n'est pas du goût des lecteurs du Figaro.
La misère ne brise pas Darien. Tant bien que mal, il survit. Zo d'Axa lui ouvre les colonnes du journal socialiste qu'il dirige, L'En Dehors, et dont la proclamation de foi ("Celui que rien n'enrôle et qu'une impulsive nature guide seule, ce passionnel tant complexe, ce hors-la-loi, ce hors d'école, cet isolé chercheur d'au-delà, ne se dessine-t-il pas dans ce mot: L'En Dehors?") semble faite pour Darien. Il y publie notamment, le 28 septembre 1891, un essai Le Roman Anarchiste.

Couverture de En Dehors 
	  (all rights reserved)  
Couverture de En Dehors
(all rights reserved)

 
Darien y attaque le troupeau des écrivains. Qu'ils soient romantiques, réalistes, psychologiques ou symbolistes, ils ne sont pour lui que les porte-parole d'une Société, qu'il exècre. Les romanciers socialistes, "romanciers de la larme à l'oeil", ne sont pas épargnés: "Vous êtes les virtuoses de la pitié, les Jérémies sopranisés des lamentations liquéfiantes... Pour être clairs, les yeux d'un romancier doivent être secs, et non rougis de pleurs de crocodiles tamponnés par des mouchoirs en deuil."
S'il avoue son admiration pour Balzac, Darien s'en prend à Flaubert avec toute la violence d'une admiration déçue. L'auteur de Madame Bovary a, selon Darien, gâché son talent, en prônant la théorie de l'art pour l'art. Il lui reproche son "désir absurde d'exaltation de la littérature" et sa volonté de séparer l'art de la vie.

Et Darien d'affirmer que "devant le halètement des foules oppressés, à bout, devant l'exaspération des masses qui ont continué à souffrir en bas, pendant qu'on parlait en haut, de ces masses négatrices de Letat, et des réformes qu'il promet, affamées de Révolution, une nouvelle littérature s'impose." Cette littérature sera "un poème de la souffrance qui est le poème humain." Il n'est plus temps de parler mais d'agir.

  Couverture de L'Escarmouche 
	  (all rights reserved)
 
Couverture de L'Escarmouche
(all rights reserved)

Contre cette Belle Epoque "platement égoïste, trop lâche pour la foi, trop lâche pour la souffrance, trop lâche pour le crime même", et qu'il méprise, Darien choisit le camp de la "poignée de réfractaires désespérés qui savent encore être des brutes.",  le camp des anarchistes.  Il ne croit plus depuis belle lurette ni au socialisme ni à la lutte des classes:: "Les antagonismes de classe! Mais il y a longtemps qu'ils sont terminés, les conflits; il y a beau jour qu'ils sont fondus l'un dans l'autre, le prolétariat et la bourgeoisie, et qu'ils marchent la main dans la main, malgré leurs dénégations." 
Darien prône non pas la réforme mais la destruction pure et simple de la Société "libérâtre et jalouse, égalitaire et égoïste." Aux anarchistes va donc sa confiance: "Ce n'étaient point des rêveurs. Ils n'avaient pas de système, ils ne calculaient pas, n'étudiaient pas la statistique - cette science tellement exacte qu'elle permet de prouver, avec les mêmes chiffres, les choses les plus contradictoires -  (...) Ils réprouvaient le Dogme et l'Autorité sous  quelque forme que ce fût et prêchaient, purement et simplement, l'Anarchie (...) Contempteurs de la Discipline et du Respect, évangélistes du Rien absolu, ils avaient ébranlé déjà les piliers qui soutenaient l'édifice social et allaient le faire crouler.

A partir de novembre 1893, Darien est le directeur et seul rédacteur d'un pamphlet hebdomadaire L'Escarmouche. Directeur atypique, il s'en prend dans son premier éditorial au titre même de son journal: "Un titre n'oblige pas. Un titre ça n'a rien de noble. On en prend un parce qu'il en faut, et voilà tout. Ca ne tire pas à conséquence. D'abord une escarmouche à propos de quoi? Contre qui? Une bataille? Pour quoi faire? Partir en guerre sans avoir devant soi même des moulins à vent, ce n'est pas sérieux." Le journal ne survivra que quelques mois mais publiera des illustrations de Toulouse Lautrec, Valloton, Ibels, Willette ou Vuillard. Le 16 mars 1894, Darien jette l'éponge. L'argent lui fait plus défaut que jamais et le climat de la France devient malsain pour lui.

En effet l'assassinat, le 24 juin 1894, du président de la République, Sadi Carnot, par Caserio, déchaine la répression contre les anarchistes. Comme Zo d'Axa ou Michel Zévaco, Darien fuit la France et se réfugie en Angleterre.

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - oct.99 - Jan.00 - Fév.02)

GEORGES DARIEN - INTRO ET SOMMAIRE

 

 
   

 
Les Excentriques > Georges Darien > La Belle France