LES EXCENTRIQUES
ARTHUR CRAVAN - INTRO ET SOMMAIRE
Arthur Cravan
Voyage
New York

FABIAN LLOYD
VOYAGE
PEINTURE
MAINTENANT
POESIE
BOXE
AMOUR
GUERRE
CALACA
VIVANT

 

L'AMERIQUE

New York! New York! Je voudrais t'habiter!

  NEW YORK (all rights reserved)
 
New York (all rights reserved)
Cravan passe une bonne partie de sa courte vie à voyager. Il a besoin de se sentir en mouvement pour vivre pleinement. Sinon, il s'asphyxie, s'ennuie, le spleen le gagne: "Ce qui me faisait le plus de mal, c'était de me dire que je me trouvais encore à Paris, trop faible pour en sortir; que j'avais un appartement et des meubles - à ce moment là, j'aurais bien mis le feu à la maison - , que j'étais à Paris quand il y avait des lions et des girafes." (Maintenant, n°3)

Il a l'esprit nomade. "Je ne me sens vraiment bien qu'en voyage: avoue-t-il. Lorsque je reste longtemps dans un même endroit, la bêtise me gagne." (Lettre à Mina Loy)

En 1903, Fabian Lloyd s'embarque pour l'Amérique. Il doit résider chez des amis fortunés de sa mère . D'après son frère, et les bribes de poèmes qu'a laissés Cravan, il n'y reste pas longtemps et s'enfuit pour courir les routes. Plus tard, il racontera avoir été muletier, être allé jusqu'en Californie, où il aurait travaillé comme journalier à la récolte des oranges, puis comme marin sur le Pacifique.

Vérité ou mensonge, cela n'a guère d'importance. Cravan est tombé amoureux de l'Amérique, pays de la jeunesse et de la vitesse, de la vie moderne, des filles sportives et des "trains rapides qui flottent sur les rails (...) et m'emportent vers le Nord, ô cher Mississippi!", pays de la liberté, où les contraintes sociales n'existent pas: "Puis l'Américain est craint, il sait boxer; ou du moins on le croit. (...) De plus quand chacun doit porter l'étiquette d'une profession, à moins d'être hors-la-loi; quand l'un est honorablement menuisier, l'autre poète naturaliste, d'aucuns journalistes, cambrioleurs, peintres ou stayers, lui, l'Américain est américain, sans plus. (...) Donc être américain, c'est avoir un état." ("L'Echo des Sports", 10 juin 1909)

Cravan est tombé d'un pays qui n'existe pas, d'un pays rêvé à son image, gigantesque et multiple. Revenu en Europe, il en garde la nostalgie, la traîne partout où l'emmène son humeur vagabonde, de Paris jusqu'aux Balkans où la déclaration de guerre interrompt une mystérieuse "tournée" en compagnie d'un imprésario véreux..

La guerre confère à l'Amérique un attrait supplémentaire: c'est un pays neutre, où Cravan ne risque pas qu'on lui demande d'expliquer sa situation militaire. Il débarque à New York, venant d'Espagne, en 1917.

L'hiver new-yorkais est froid. Cravan n'a que deux adresses en poche. La nuit, il dort dans Central Park. Ses journées, il les passe à marcher dans les rues. Il traverse toute la ville et se prend de passion pour elle: "New York est une chose étonnante et j'en suis venu à adorer cette ville."

Le soir venu, il joue les pique-assiettes auprès de la faune artistique et mondaine de Greenwich Village, guère différente de celle de Paris (il y retrouve d'ailleurs des gens connus à Montparnasse). Cravan parle de la belle villa à véranda qu'il habite. On le croit riche. Il meurt pratiquement de faim et vole quelques billets dans les sacs à main. Parfois il cherche refuge auprès des putains noires de Harlem. Chez les riches amis des arts, il s'écroule sur les divans, se vautre sur les tapis persans et demande à voix haute: "Comment se fait-il que, vous, les Américains, soyez aussi insupportablement vulgaires?". Ce qui lui assure une réputation et d'autres invitations.

Mais après l'entrée en guerre des Etats Unis et le scandale provoqué par la mauvaise blague de Picabia et Duchamp au Salon des Indépendants, New York perd de son charme.

Avec son ami Arthur Burdett Frost, ancien élève de Matisse, fils rebelle et aventurier d'un peintre new-yorkais, Cravan voyage en Amérique. De juillet à août 1917, il visite le Maryland et le New Jersey, Philadelphie et Atlantic City. commence à sillonner les Etats Unis.

En septembre, toujours avec l'ami Frost, il part à pied pour le Canada, avec peut-être l'idée de gagner le Labrador. Les deux hommes, sans argent, dorment à la belle étoile et se déguisent en soldats pour faire de l'auto-stop. Les automobilistes patriotes ne refusent jamais de s'arrêter pour deux braves petits gars en route pour combattre les Huns. "Nous avons de la veine d'être des soldats!", se réjouit Cravan. "Nous faisons des étapes de géants."

Pendant tout le voyage, Cravan écrit à Mina Loy, qu'il a rencontrée à New York et dont il se découvre, à sa propre surprise, un peu plus amoureux à chaque étape. Déjà il l'associe à ses futurs voyages: "Hier j'ai rêvé de toi toute la nuit; tu partais avec moi en voyage." Quand, avec lui, elle entendra le vent, sentira le froid, marchera à travers les champs, se baignera dans les rivières, elle comprendra que "tout n'est pas corrompu."

Le 9 septembre, il lui écrit que le Canada est un pays merveilleux. Frost et Cravan visitent le Nouveau Brunswick et la Nouvelle Ecosse ("J'ai vu un soleil couchant sur la Nouvelle Ecosse que je n'oublierai jamais."). Faute de pouvoir aller à Terre Neuve, ils envisagent de rentrer à New York en passant par Montréal et, ensuite, de partir au Brésil ou au Mexique.

Surviennent coup sur coup deux catastrophes. Arthur Frost meurt subitement en décembre et Cravan se croit de nouveau menacé de la conscription. Il écrit même à sa mère qu'il est mobilisé, que cela ne l'ennuie pas et qu'il se réjouit de partir tuer un tas de Boches. Réaction étrange et passagère puisque, à peine revenu à New York, il part pour le Mexique, espérant pouvoir gagner à partir de là Buenos Aires et l'Argentine.

Mina Loy ne l'accompagne pas, cette fois encore. Et Cravan recommence à lui écrire: "Tu me manques tellement que c'en est affreux. Et nous reverrons-nous? Par moments, j'en doute. C'est horrible, c'est horrible!"

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - octobre 1998)

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