LES EXCENTRIQUES
ARTHUR CRAVAN - INTRO ET SOMMAIRE
Arthur Cravan
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CRAVAN POETE

"L'Art, l'Art, ce que je m'en fiche de l'Art! Merde, nom de Dieu!"

Maintenant qu'il a décidé de devenir poète, Cravan se met au travail. Il lui faut d'abord apprendre à écrire et se forger un style. Il noircit les pages d'un gros cahier, se fixe des contraintes: éviter les répétitions, les mots usés ou impropres, préférer l'originalité et la précision. Le docteur Grandjean, son beau-père, amoureux de la poésie, est le confident de ses essais et de ses doutes: "Voilà ces fameux vers faits dans une nuit immémoriale! Je les ai alignés ce matin et je ne vois pas encore les points faibles. j'espère que tu me jugeras en légers progrès. (...) Je suis encore à la période des tâtonnements et des hésitations désespérantes. Enfin, enfin, enfin je travaille avec plus de confiance. C'est la confiance qui me fait défaut; si je pouvais entrevoir d'arriver, je m'acharnerais désespérément." (Lettre au Dr Grandjean).

En 1908, un petit héritage, que sur les conseils avisés de sa mère il place en banque, lui permet de quitter la Suisse et de s'installer à Paris. Habitant d'abord rue Saint Jacques, il fréquente la Closerie des Lilas où se mêlent poètes tels Apollinaire, Paul fort, Léon Paul Fargue, et peintres comme Braque, Léger, Duchamp.

Il continue de faire ses gammes d'écrivain et entretient régulièrement ses parents de ses avancées: "Tout le monde me trouve en grands progrès encore. On a été jusqu'à me dire que je faisais déjà de la grande poésie et surtout que j'étais enfin personnel. Je vous donne quelques vers plus loin. Je change le plus souvent possible de sujet. (...) Je serai prêt très prochainement." (Lettre à Nellie Lloyd)

Des poèmes qu'écrit Cravan entre son arrivée à Paris et le lancement de sa revue, "Maintenant", en 1913, on peut dire qu'ils sont rimés et qu'ils prouvent qu'il a lu Verlaine. Ils sentent l'effort, l'application et donnent l'impression que leur auteur tente de brider son tempérament.

Cravan lui-même n'en est pas satisfait de ces "vers portés neuf ans comme l'éléphant". Au bas d'un poème envoyé au Dr Grandjean, il écrit: "Dernière heure: je m'aperçois qu'il y a des vers moches" Le doute vient à nouveau le torturer: "Incapable d'originalité et ne renonçant pas à produire, je cherchai à donner quelque lustre à d'anciennes poésies, oubliant que le vers est un enfant incorrigible. Naturellement je n'eus pas plus de succès; tout restait aussi médiocre." ("Maintenant", n°3).

Il tente une approche plus moderne, assez semblable à celle des poèmes de Cendrars, qu'il baptise le "prosopoème". Il s'agit "d'une pièce commencée en prose et qui insensiblement, par des rappels -la rime- d'abord lointains et de plus en plus rapprochés, naissait à la poésie pure." ("Maintenant", n°3). Deux textes de ce type, "Sifflet" et "Hie!", apparaissent dans "Maintenant", sous la signature d'Arthur Cravan. Un poème plus classique, dans l'ancienne manière, n'a droit lui qu'à un pseudonyme, Edouard Archinard.

Cravan s'ennuie. Tout cela est trop long. A ce rythme, il lui faudra vingt ans pour réussir à se faire un nom. "Et si tu atteins à la gloire tu seras alors laid comme un homme. Je ne comprendrai jamais comment Victor Hugo a pu, quarante ans durant, faire son métier. Toute la littérature, c'est: ta, ta, ta, ta, ta, ta." ("Maintenant", n°3)

Là est la solution. La poésie n'est pas un métier. La gloire n'est pas la médaille des vieux travailleurs. Le jeune homme, qui avait déjà débuté ses visites aux académiciens, décide de prendre un raccourci vers la gloire: le scandale.

Au lieu de chercher l'approbation des milieux artistiques et du public, de se conformer à leurs attentes, de leur donner ce qu'il veulent, il se présentera à eux tel qu'il est, Arthur Cravan, neveu d'Oscar Wilde, boxeur et poète aux cheveux les plus courts du monde. Il n'essaiera plus de couler sa "funeste pluralité" dans le moule d'un métier, fût-ce celui de poète. Il les laissera le mener et les suivra où elles voudront bien le mener, et de cette anarchie, de ce chaos naîtra précisément la poésie.

S'il est vrai que "le génie est une manifestation extravagante du corps", Cravan exprime le sien en l'incarnant, en lui livrant sa carcasse de deux mètres. Il va physiquement à la rencontre du public en vendant lui-même sa revue "Maintenant" dans une voiture à bras, en montant sur scène pour des conférences houleuses, ou en boxant sur le ring. Surtout il fait de sa vie même, de son existence, une création artistique.

Son manifeste poétique, "Il faut regarder le monde comme le fait un enfant, avec de grands yeux stupéfaits: il est si beau. Allez courir dans les champs, traverser les plaines à fond de train comme un cheval ; sautez à la corde et, quand vous aurez six ans, vous ne saurez plus rien et vous verrez des choses insensées." ("Maintenant" n°4), s'exprime dans chacun de ses actes, de ses gestes. Cravan, l'homme, est la création de Cravan, le poète.

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - octobre 1998)

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