LES EXCENTRIQUES
ARTHUR CRAVAN - INTRO ET SOMMAIRE
Arthur Cravan
Poésie
Conférence

FABIAN LLOYD
VOYAGE
PEINTURE
MAINTENANT
POESIE
BOXE
AMOUR
GUERRE
CALACA
VIVANT

 

ARTHUR CRAVAN CONFÉRENCIER

"Si j'avais la gloire de Paul Bourget, je me montrerais tous les soirs en cache-sexe dans une revue de music-hall."

Fabian Lloyd en est persuadé: il faut se faire un nom car "avec un nom, on réussit avec les femmes et dans les affaires." Il s'est choisi celui d'Arthur Cravan, reste à le faire connaître.

Ayant proclamé que "la gloire est un scandale", Cravan s'emploie à créer le scandale. Il ne s'agit pas seulement pour lui de choquer ou d'épater le bourgeois mais aussi de laisser libre cours à sa formidable vitalité, à son besoin d'incarner la poésie en des actes physiques.

Le 27 juin 1912, il assiste depuis une loge, salle Gaveau, à la lecture du Manifeste de la femme futuriste. Le public siffle la conférencière, Valentine de Saint Point, et envahit la scène. Les qualités de poète-pugiliste de Cravan trouvent à s'employer. Il descend dans la salle faire le coup de poing pour défendre les futuristes.

Le colosse blond vient de découvrir une forme d'expression poétique selon son coeur qui mêle verbe et action, corps et esprit. Il décide donc qu'à son tour il donnera des conférences. Sa mère, qui espère encore voir son cadet se civiliser, approuve d'abord: "Je souhaite surtout que cela lui rapporte gros et qu'il ait du succès." (Lettre de Nellie à Otho Lloyd)

Mais son fils a du noble art de la conférence une vision bien personnelle. Il annonce:

"Venez voir le poète ARTHUR CRAVAN (neveu d'Oscar Wilde) - champion de boxe, poids 125 kg, taille 2m, - LE CRITIQUE BRUTAL - PARLERA - BOXERA - DANSERA-"

Si cela ne suffit pas à chatouiller la curiosité du public, il promet aussi qu'il conférenciera simplement vêtu d'un cache-sexe et se suicidera à l'issue de sa causerie.

La première conférence a lieu au Cercle de la Biche, à Montmartre, 37 rue des Martyrs, le 27 novembre 1913. Cravan monte sur scène et réclame le silence en tapant à coups de trique sur un guéridon; puis il s'en prend aux "sales gueules d'artistes", raille les modernistes, malmène les cubistes, se désole que les grands poètes ne meurent pas du choléra avant trente ans. Ensuite il danse, boxe, et fait monter sur scène des amis qui eux aussi boxent et dansent.

Une seconde conférence est prévue le 15 mars 1914, aux Noctambules, 7 rue Champollion. Cravan se charge lui-même d'appâter le chaland:

"Ce soir aux Noctambules (...) Arthur Cravan, neveu d'Oscar Wilde, conférenciera, dansera, boxera (...). Amateurs du dernier tango où l'on cause, gens férus de polkas et autres danses du pape devant le miroir, financiers qui placez dans le cubisme et dans l'orphisme vos plus sonores espérances, dames du monde éprises du cours et des manchettes de M. Bergson, jeunes filles qui faites de "Maintenant" vos rêves de demain, soyez tous à cette soirée où Arthur Cravan élèvera la conférence à la hauteur d'une raison sociale d'utilité publique." ("Le Petit Journal")

Mais une bagarre avec son frère Otho Lloyd dans un restaurant de Montmartre provoque l'intervention de la police. Emmené au poste, Cravan se trouve donc empêché de conférencier, danser et boxer ce soir là, à la grande déception du public.

Il monte une troisième fois sur scène le 5 juillet 1914, salle des Sociétés savantes, 8 rue Danton. Le poète-pugiliste y porte une chemise de flanelle largement échancrée, une ceinture rouge, un pantalon noir et des escarpins. De nouveau, il vitupère les artistes, célèbre les boxeurs et les homosexuels, pimente sa causerie de sonneries de clairon, de coups de revolver (à blanc) et lance quelques objets à la tête des spectateurs.

André Salmon, dans "Gil Blas", analyse parfaitement ce que dissimulent les provocations de Cravan, ses coups de revolver et ses coups de gueule: "Arthur Cravan croit à la vie moderne, ardente, brutale! Ce cynique est un ingénu, un poète intéressant d'ailleurs et qu'une "littérature aiguë" pousse au mépris apparent de la littérature."

La quatrième et dernière apparition de Cravan conférencier a lieu à New York, le 19 avril 1917, pour l'inauguration du Salon des Indépendants, au Grand Central Park. Cravan s'y produit devant le gratin de la bonne société new-yorkaise et des artistes de Greenwich Village, une audience qui se compose "surtout de femmes élégantes, mécènes des arts, spécialement invitées à venir s'initier aux mystères de la peinture futuriste" (Gabrielle Buffet Picabia, "Aires abstraites").

Il ne dira pas un mot.

Un journaliste du "Sun" décrit la scène: "M. Cravan commença à se dépouiller de son veston. L'art eut un sourire indulgent; on était au premier jour du printemps (...)Le Monsieur ôta son gilet. Greenwich Village haussa les épaules. (...) Puis un léger murmure d'étonnement courut dans l'entresol: Monsieur avait ôté son faux-col (..) et avait laissé retomber sur ses hanches ses bretelles de soie."

Cravan effectue ce strip-tease les yeux fixés sur un grand tableau représentant une beauté dénudée. "Monsieur Cravan regardait, rayonnant, puis poussa un hululement qui couvrit le fracas et le grincement des trains de New York Central. L'art, touché de plein fouet, se débanda en hurlant à travers les escaliers."

L'intervention des agents de la sécurité précipite le dénouement de la conférence: "M.Cravan mit en pratique sa science du noble art avec une vigueur de nature propre à causer quelque dommage à la vêture du personnel de sécurité."

Cravan, embarqué par la police, écope d'une amende et de huit jours à Sing-Sing. Mais cette fois-ci, le scandale l'effraie. En effet l'Amérique est entrée en guerre le 6 avril et, malgré un nouveau passeport, russe celui-là, Cravan préfère se faire discret.

Il n'y aura pas d'autre conférence.

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - octobre 1998)

POESIE

 

 

 
Les Excentriques > Arthur Cravan > Poésie > conférence