LES EXCENTRIQUES
ARTHUR CRAVAN - INTRO ET SOMMAIRE
Arthur Cravan
Peinture
Archinard

FABIAN LLOYD
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EDOUARD ARCHINARD

"L'art, la peinture m'a trahi."

Otho Lloyd est venu à Paris pour devenir peintre. Sa mère qui lui croit du génie l'y encourage. Il suit des cours, passe ses journées au Louvre, va dans les académies de peinture et fréquent le cercle d'artistes russes qui entoure Sonia Delaunay.

Cravan, lui, n'a que mépris pour "les naïfs qui fréquentent les académies de peinture. Peut-on apprendre à dessiner, peindre, avoir du talent ou du génie?" ("Maintenant" n°4). Il affecte même de détester la peinture en bloc, renvoyant dos à dos classiques et modernistes. Selon lui, le dégoût de la peinture "est un sentiment qu'on ne peut jamais assez développer" et il affirme préférer "le plus simplement du monde la photographie à l'art pictural". ("Maintenant" n°4)

Rendant compte du Salon des Indépendants, dans le quatrième numéro de "Maintenant", il éreinte "999 toiles sur 1000", n'ayant d'indulgence que pour un certain Arthur Cravan qui "s'il n'avait pas été dans une période de paresse eut envoyé une toile avec ce titre: le Champion du Monde au Bordel." et pour Kees Van Dongen.

Les liens d'amitié qui lient Cravan et Van Dongen ont sans doute plus à voir avec l'art pugilistique qu'avec la peinture. Cravan boxe parfois sur le ring que le peintre hollandais a fait installer dans son atelier. En 1912, Van Dongen peint d'ailleurs un tableau représentant "Arthur Cravan boxant contre Charley Mac Avoy". Cravan est invité aussi aux fêtes qu'organise le peintre et notamment à un bal masqué où il vient déguisé en bourreau chinois. Van Dongen, lui, aura l'honneur de figurer dans une des réclames pour le restaurant Jourdan que Cravan insère dans sa revue "Maintenant": "Où peut-on voir Van Dongen mettre la nourriture dans sa bouche, la mâcher, digérer et fumer? Chez Jourdan restaurateur, 10 rue des Bons-Enfants."

Pourtant, malgré cette haine affichée de la peinture, certains ont voulu attribuer à Cravan une carrière de peintre et le reconnaître sous le masque d'Edouard Archinard. Certes Cravan n'a jamais été avare de paradoxes et de pseudonymes. Et il a effectivement utilisé le nom d'Edouard Archinard pour signer un long poème dans le deuxième numéro de sa revue "Maintenant". Archinard réapparaît dans le numéro 4; Cravan lui attribue la paternité d'une attaque féroce contre le peintre Maurice Denis ("comme disait un de mes amis, Edouard Archinard").

Il existe effectivement un Edouard Archinard, peintre pointilliste, qui a exposé à la galerie Bernheim Jeune en mars 1914 et en mai 1917, et dont une lettre écrite à Félix Fénéon a été vendue à Drouot en 1994. Le dictionnaire Bénézit lui consacre une notice énigmatique: "Peintre né à la fin du XIX° siècle, tué durant la guerre de 1914-1918. On connaît fort peu de choses de son existence de peintre. La déclaration de guerre empêcha le montage d'une exposition d'une centaine de ses oeuvres."

Roger Lloyd Conover veut voir en Archinard un avatar de Cravan, qui, avec la complicité de Félix Fénéon, aurait monté l'exposition d'oeuvres d'un peintre imaginaire. Aussi astucieux que soient ses arguments ("Les noms secrets d'Arthur Cravan" in "Arthur Cravan, poète et boxeur"), ils ne sont pas entièrement convaincants. La manière des tableaux d'Archinard et leurs titres ("La voiture d'enfants", "Les palmiers du rivage") semblent quelque peu mièvres en comparaison de la vitalité débordante d'Arthur Cravan et de son sens aigu de la provocation.

Et on voit mal comment réconcilier la haine affichée de Cravan contre la peinture avec un canular qui semblerait bien innocent et étonnamment discret.

Sortant du Salon des Indépendants de 1912, il écrit à sa mère: "Cette exposition me dégoûte. Il y a à peine 4 toiles à regarder sur 7000. J'y suis resté dix minutes, le temps de la traverser et de m'asseoir au buffet pour regarder la tête de tous les ratés et ratées en robes et costumes tapageurs. Mon Dieu, heureusement que je ne suis pas peintre, je crois que j'y aurais foutu le feu!".

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - octobre 1998)

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