LES EXCENTRIQUES
ARTHUR CRAVAN - INTRO ET SOMMAIRE
Arthur Cravan
Maintenant
Autobiographie

 


FABIAN LLOYD
VOYAGE
PEINTURE
MAINTENANT
POESIE
BOXE
AMOUR
GUERRE
CALACA
VIVANT

 

UNE AUTOBIOGRAPHIE

"Les abrutis ne voient le beau que dans les belles choses."

"Maintenant" aurait pu, comme tant d'autres revues d'avant-garde, devenir avec le temps un simple document historique, un objet pittoresque, témoignage jauni d'audaces dépassées. Ce n'est pas le cas.

Pour deux raisons. "Tout grand artiste a le sens de la provocation", écrit Cravan. Force est de reconnaître qu'il possède ce sens au plus haut point et que, contrairement à certains provocateurs prudents, il se choisit des cibles de renom (André Gide, Apollinaire, Marie Laurencin) et ne retient pas ses coups. Le portrait-charge qu'il fait de Gide, par exemple, est d'une virulence réjouissante. Cravan peut se montrer cruel, mais c'est de la cruauté de l'enfant qui dit "le Roi est nu". Il piétine ses adversaires avec tout l'entrain du gosse qui saccage son château de sable, avec une telle joie sauvage qu'il est difficile de ne pas rire, ou même de lui en vouloir. Guillaume Apollinaire le provoque en duel avant tout pour la beauté du geste car il avoue "avoir goûté le savoureux pamphlet" qui l'esquinte lui et ses amis.

Ensuite, qu'il écrive sur André Gide ou l'Exposition des Indépendants, qu'il se dissimule derrière le masque d'Oscar Wilde ou d'Edouard Archinard, Cravan se livre; il est avant tout son propre sujet. Plus qu'une revue littéraire, "Maintenant" est une autobiographie morcelée, à mi-chemin entre le rêve éveillé et la confession, un objet littéraire non identifié, singulier, d'où, entre deux provocations, deux blagues, émerge peu à peu, le portrait d'un voyou et d'un dandy, d'un poète et d'un boxeur, d'un géant et d'un enfant, d'un homme qui "n'est si infortuné que parce que mille âmes habitent un seul corps." (Autrement, n°3)

Cravan souffre réellement de sa "funeste pluralité" mais il l'accepte: "Je veux aussi montrer les étrangetés de mon caractère, foyer de mes inconséquences; ma détestable nature, que je ne changerais pourtant contre aucune autre, bien qu'elle m'ait toujours défendu d'avoir une ligne de conduite; parce qu'elle me fait tantôt honnête, tantôt fourbe, et vaniteux et modeste, grossier et distingué. Je veux vous les faire deviner afin que vous ne me détestiez point, comme, tout à l'heure, vous seriez peut-être tenté de le faire en me lisant." (Autrement n°3.)

Ne voir en Cravan qu'un provocateur grossier, un cabotin en mal de publicité, serait une erreur. Cravan ne s'efforce pas tant de provoquer les autres que de se provoquer lui-même, afin de donner à chacune de ses mille âmes une occasion d'exister. Picabia l'a parfaitement compris: "Cravan ne cherchait pas du tout à étonner les autres. Il cherchait à s'étonner lui-même et ça c'est beaucoup plus difficile."

Et, à travers le prisme de ces mille âmes, on finit par découvrir un être singulier, possédé d'un amour fou de la vie, qui lui fait accepter et les rires et les larmes, et l'ennui et la joie, et l'espoir et la nostalgie, et le plaisir et la souffrance, et le bien et le mal. Cravan a un tel appétit de vivre qu'il peut aussi bien manger que jeûner, baiser qu'être un saint, marcher que rester immobile. Il s'émeut autant de la plainte du vent que du sifflet d'une locomotive, se perd aussi bien dans la contemplation d'une rose que d'un éléphant. Le simple acte de respirer suffit à le plonger dans le ravissement.

Découvrir ce Cravan là exige un effort. Il faut accepter les Cravan successifs, ne pas s'arrêter à ces apparences et finalement se laisser séduire. Mina Loy, qui a fait le chemin avant nous, est là pour nous guider: "Par la suite, je devais me rendre compte que, lors de nos premières rencontres, il s'était présenté la plupart du temps sous l'aspect d'un être complètement différent, et me demander comment j'avais pu déceler une identité à travers ses successives métamorphoses. Il fallut que ces éléments psycho-biologiques épars se soient, par la vertu d'un contact personnel, fondus en un seul homme pour que les "premières personnes" que j'avais rencontrées "de lui" deviennent entièrement étrangères." ("Colossus")

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - octobre 1998)

MAINTENANT

 

 

 
Les Excentriques > Arthur Cravan > Maintenant > Autobiographie