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ARTHUR CRAVAN - INTRO ET SOMMAIRE
Arthur Cravan
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Oscar Wilde

 

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Oscar Wilde
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OSCAR WILDE

"Oscar Wilde! N'êtes-vous pas le roi de la Vie?"

Oscar Fingal Wilde épouse en mai 1884 à Londres Constance Holland Lloyd. Il l'a rencontrée à Dublin; elle a 26 ans. La famille de la jeune femme, et particulièrement son frère Otho, voit cette union d'un très mauvais oeil. Les très respectables et conformistes Lloyd soupçonnent le scandaleux poète irlandais, le dandy aux oeillets verts, l'esthète couvert de dettes, de chercher un riche mariage qui le remette à flot.

Lorsque le poète est condamné et emprisonné en 1895, et ses biens vendus, Constance se réfugie en Suisse près de son frère. Les Holland Lloyd tiennent leur revanche: ils contraignent Constance à abandonner le nom de Wilde et élèvent ses deux fils, qu'ils ont séparés, dans l'idée que leur père est mort. Brisée par les épreuves, Constance meurt en 1898. Oscar Wilde s'éteint deux ans plus tard, à Paris.

Quand Arthur Cravan se réclame de cet oncle que les Lloyd ont rejeté et abandonné, et même tenté d'effacer de leur histoire, il fait donc avant tout acte de rébellion contre sa famille. Sa famille refuse le nom de Wilde, souillé par les scandales? Fabian abandonne le nom des Lloyd et devient Arthur Cravan (Arthur en hommage à Rimbaud, poète comme Wilde, et pour le moins aussi scandaleux; Cravan en hommage à sa maîtresse, Renée). Les Lloyd ne veulent même plus entendre parler de Wilde? Arthur Cravan se pare du titre "neveu d'Oscar Wilde" comme d'un panache.

Le rejet de sa famille pousse Cravan plus loin, jusqu'à renier son père. En 1913, il imagine une rencontre avec Oscar Wilde, où l'oncle qui s'est fait passer pour mort, vient frapper à la porte de son neveu: "Wilde s'amusait de plus en plus. Puis, soudain, nostalgique il fit: "Et Nelly?" (C'est ma mère.) Cette question me causa un bizarre effet physique, car, à plusieurs reprises, ne m'avait-on pas instruit à demi-mot sur ma naissance mystérieuse; éclairé très vaguement, en me laissant supposer qu'Oscar Wilde pouvait être mon père." (Maintenant n°3)

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Oscar Wilde
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Sans doute Cravan fait-il lui-même courir ce bruit, puisque dans "Souvenirs d'un collectionneur", André Level évoque "cet Arthur Cravan, haut de deux mètres, qui passait pour le fils d'Oscar Wilde". Une banderille de plus dans le flanc de la famille Holland Lloyd. Abandonné dès sa naissance, Cravan souffre manifestement de l'indifférence que lui témoigne son père. A neuf ans, il lui écrit: "Mon cher, cher père, (...) j'espère te revoir, car il y a si longtemps que je ne t'ai revu." (Lettre à Otho Holland Lloyd)

La lettre qu'Otho Holland Lloyd envoie à Nelly, qui lui a annoncé la disparition de son fils cadet au Mexique, frappe par sa froideur et son détachement. Il traite la mort probable de son fils comme une sorte de jeu intellectuel, une traduction épineuse, ou un roman à énigme, évoquant même au passage "Trois hommes dans bateau"! Une phrase résume son attitude à l'égard de Cravan: "Le caractère de Fabian est pour moi un grand casse-tête. Apparemment, pour sa femme Mina, il était un être singulier, un être unique." On le sent incrédule...

Cravan trouve surtout en Oscar Wilde un alter-ego rêvé, un modèle qu'il fabrique lui-même à son image. Les portraits qu'il donne du poète, qu'il n'a jamais rencontré, servent sa propre cause. Wilde est en fait le miroir qui renvoie à Cravan son image en poète. Plus tard, Jack Johnson remplira le même rôle pour Cravan boxeur. Et de même que Cravan s'affronte lui-même sur le ring quand il boxe contre Johnson, son entrevue imaginaire avec Wilde, avec son double donc, s'achève en pugilat: "Et l'insultant entre des rots abominables: "Eh! va donc! figure de coin de rue, propre à rien, face moche, raclure de pelle à crotte, cresson de pissotière, feignasse, vieille tante, immense vache!" (...) Alors, en un immense effort, il se leva; mais avec promptitude, et d'une poussée de l'avant-bras, je l'aplatis - c'est le terme le plus juste - sur son fauteuil." ("Maintenant" n°3)

Ce qui, chez Oscar Wilde, provoque l'admiration de son neveu c'est, non son intelligence ou son talent, et encore moins son oeuvre dont il ne parle jamais, mais avant tout, sa taille et sa corpulence, sa masse physique: "Il était beau. Dans son fauteuil il avait l'air d'un éléphant: le cul écrasait le siège où il était à l'étroit; devant les bras et les jambes énormes j'essayais avec admiration d'imaginer les sentiments divins qui devaient habiter de pareils membres (...)Je l'adorais parce qu'il ressemblait à une grosse bête; je me le figurais chier simplement comme un hippopotame." ("Maintenant"n°3) Une description qui convient tout aussi bien aux deux mètres et cent vingt kilos de Cravan...

L'autoportrait se précise lorsque Cravan s'empresse de faire partager à son oncle son goût pour l'errance et l'ailleurs: "(il) revenait soit des Indes, ou de Sumatra, ou d'ailleurs. Trés certainement, il avait voulu finir au soleil - peut-être dans l'Obock - et c'est quelque part là que poétiquement je me le représentais, dans la folie du vert de l'Afrique et parmi la musique des mouches, faire des montagnes d'excréments." ("Maintenant" n°3)

"Chier comme un hippopotame", "faire des montagnes d'excréments" traduisent chez Cravan le refus de la supériorité de l'esprit sur le corps. ("Maintenant" n°4). Selon lui, l'acceptation de l'harmonie naturelle entre le corps et l'esprit est indispensable à toute création artistique. Contrairement à un artiste cérébral comme Gide, "une toute petite nature" qui doit "peser dans les cinquante-cinq kilos" et dont les "mains sont celles d'un fainéant, très blanches" ("Maintenant", n°2), Cravan s'affirme, sous le masque de Wilde, comme un artiste naturel, physique, lourd, car "seuls les lourds sont exceptionnels. A preuve Balzac, Beethoven, etc..." (Lettre à Mina Loy).

Le portrait que Cravan trace de lui-même sous les traits de Wilde prend un tour sinistre et prophétique lorsque, écrivant dans "Maintenant" un texte intitulé "Oscar Wilde et vivant!" ou assurant à un journaliste du New York Times: "Je sais qu'il est toujours vivant. Je sais que ce mois-ci, il se trouve en Inde ou en Indochine." (New York Times, 9/12/1913), il met en doute la mort d'Oscar Wilde. Quand Cravan disparaît au Mexique en 1918, nombre de ses amis croient qu'il a simplement décidé de refaire sa vie quelquepart, "en Inde ou en Indochine" et, quatre-vingt ans plus tard, le mystère de sa mort demeure. Comme il l'avait imaginé, un soir de 1913, où la tristesse se mêlait en lui à la plaisanterie.

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - octobre 1998)

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