LES EXCENTRIQUES
ARTHUR CRAVAN - INTRO ET SOMMAIRE
Arthur Cravan
Fabian Lloyd
Famille

FABIAN LLOYD
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PORTRAITS DE FAMILLE

"Ma mère et moi, dis-je assez drôlement, ne sommes pas nés pour nous entendre."

NELLIE LLOYD ( ? - Lausanne 1934 )

En 1923, Nellie Lloyd décide révéler à son fils aîné, Otho, le secret qu'elle lui cache depuis 38 ans: "Je suis une enfant illégitime (...) Si je ne t'en avais pas parlé jusqu'ici, il faut comprendre: c'est toujours pénible d'être né en dehors de la société." Se compter dans les rangs de la bonne société, ne pas faire de scandale, mener une vie respectable, voilà l'ambition de Nellie. Ne pas redevenir pauvre.

La mère de Clara St Clair, le vrai nom de Nellie, jeune institutrice dans une famille de l'aristocratie britannique, fut séduite et abandonnée par le père des enfants dont elle avait la charge. Institutrice elle-même, Nellie est à son tour séduite par le descendant d'une famille illustre, Otho Lloyd Holland. Il l'épousera, en 1884, après qu'elle ait du emprunter le nom de ses employeurs, Hutchinson, pour paraître respectable à sa belle-famille. Il l'abandonnera trois ans et deux enfants plus tard.

Ses origines modestes, sa naissance illégitime et son goût des mondanités font de Nellie un mélange curieux de bon sens et de frivolité, de détermination et de fragilité, d'énergie et de langueur. Elle entend avant tout maintenir la position sociale de sa famille.

Elle aime certainement ses fils mais de façon différente. A l'aîné, Otho elle passe tout, le traite en confident, encourage ses prétentions à devenir peintre. Fabian, lui, n'a droit qu'à des reproches, des sarcasmes (Nellie a au moins en commun avec son fils le sens de l'humour) et des récriminations quant à la façon extravagante dont il dépense l'argent qu'elle lui envoie.

Elle approuve Otho quand il divorce de la femme qu'elle lui a fait épouser et a une liaison avec une peintre russe. Par contre, elle refuse de rencontrer l'amie de Fabian, Renée, qu'elle considère comme une putain. De la même façon elle voit Mina Loy comme une vulgaire aventurière, refusant longtemps de croire à son mariage avec Fabian. Parlant de Fabienne, la fille de Mina et Fabian, sa petite-fille, elle écrit à Otho: "Voilà la pauvre petite Fabienne sur la terre avec le lourd héritage de tendances de son père et qui sait? celles d'une mère peut-être qui ne vaut guère mieux."

Pourtant Fabian a sans cesse essayé, jusqu'à la fin, de conquérir l'affection de sa mère. Il ne reste jamais longtemps brouillé avec elle, lui écrit toujours, où qu'il soit, Paris, Barcelone, New York, Mexico. Nellie traite ces avances avec froideur et une méfiance (parfois) justifiée.

Mais elle s'inquiète sincèrement pour lui lorsqu'éclate la guerre et, à partir de 1915, semble même admirative de son déserteur de fils qui parvient à fuir toutes les armées du monde. Cependant Fabian reste pour elle une énigme jusqu'au bout: "Pauvre Faby! Il avait tant de charme à côté des choses incohérentes! fait des génies!!! En tout cas il était un être pas normal, extraordinaire. Où se trouve la limite entre le génie et la folie?" (Lettre à Otho)

OTHO LLOYD (Londres 1885 - Barcelone 1979)

C'est le fils aîné typique, qui abuse de sa force pour battre son cadet, qui ne peut rien faire de mal, que l'on cite toujours en exemple. Comme son cadet, Otho a une carrure d'athlète et pratique la boxe. Comme lui il parle et écrit plusieurs langues, grâce à l'attention que Nellie a apporté à leurs études. Les ressemblances s'arrêtent là.

Ils mènent un temps des vies parallèles. Fabian suit Otho à Paris. Tous deux découvrent la boxe au club de Fernand Cuny. Pressés par leur mère qui souhaite les savoir "hors des tracas d'un pays en guerre", ils gagnent tous deux Barcelone en 1915.

Mais on ne sent guère d'affection entre eux. Cravan parle de son "crétin de frère" et ridiculise, dans le quatrième numéro de sa revue "Maintenant", les ambitions artistiques d'Otho. Celui-ci veut être peintre. Il se croit du génie alors qu'il n'a pas même de talent. Quand Cravan parle des "naïfs", des "grands dadais" qui fréquentent les académies de peinture, qu'il demande: "Peut-on apprendre à dessiner, peindre, avoir du talent ou du génie?", qu'il affirme préférer dormir avec Bergson "que de coucher avec la plupart des femmes russes", a-t-il oublié qu'Otho fréquente les académies, veut y apprendre à peindre et couche avec une Russe?

Otho, lui, affecte d'appeler Fabian son "demi-frère" et le considérera toujours comme le raté de la famille. Pour lui, Cravan ne se prétend poète que "pour imiter les habitués de la Closerie des Lilas".

Les deux frères en viennent aux mains dans un restaurant parisien en octobre 1913. Nellie donne évidemment tort à Fabian et plaint le pauvre Otho. Elle trouve "du dernier mauvais goût de se battre dans un restaurant à l'instar des apaches" (Lettre à Otho Lloyd).

Maria Lluisa Borras décrit Otho Lloyd à la fin de sa vie, vieillard solitaire à Barcelone: "Il refusait de parler de Cravan et je pus vérifier qu'il avait vendu jusqu'au plus petit souvenir de son frère." ("Arthur Cravan, une stratégie du scandale").

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - octobre 1998)

FABIAN LLOYD

 

 

 
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