LES EXCENTRIQUES
ARTHUR CRAVAN - INTRO ET SOMMAIRE
Arthur Cravan
Amour
Renée

 

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FABIAN LLOYD
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RENÉE

"La petite Renée qui est un compagnon de voyage vraiment épatant!"

Arthur Cravan présentera toujours Renée comme sa femme, bien qu'il ne l'eût jamais épousée. Dans ses écrits, elle apparaît sous le nom de "Madame Cravan". Les amis du poète la considéreront comme telle, la désignant comme "Madame Cravan" ou "sa veuve". Cendrars évoque "sa femme, une Bourguignonne, qu'il avait laissée à Paris: peut-être connaissait-il déjà celle qu'il allait épouser à New York, car Arthur Cravan est mort bigame." ("La tour Eiffel sidérale").

Renée n'était d'ailleurs pas plus bourguignonne que mariée à Cravan. Elle naît le 22 août 1880 dans un petit village de Charente-Maritime, sous le nom d'Alphonsine Bouchet. A 25 ans, elle monte à Paris et devient la secrétaire du critique et collectionneur d'art Gustave Coquiol. Le peintre Henry Hayden tombe amoureux de la mince et belle jeune femme brune. Il en réalise deux portraits en 1909.

Survient Arthur Cravan et Renée abandonne le peintre pour suivre le poète. Ils se mettent en ménage d'abord chez Cravan, rue Saint Jacques, puis à Poigny en Seine-et-Marne.

Nellie Lloyd voit cette liaison d'un très mauvais oeil: Renée est "une créature" qui exerce une influence néfaste sur Arthur, "un pauvre déséquilibré et un exalté".

Passant par Paris, Nellie invite son fils à dîner avec des amis de la famille, les Koechlin, sous les lambris du buffet de la gare de Lyon. Cravan arrive avec deux heures de retard et, devant le refus de sa mère de saluer Renée, part au bout de cinq minutes.

"Je suis scandalisé de tes procédés, écrit-il à sa mère. N'aurais-tu pu dire bonjour à Mlle Renée (...)? Toute personne bien élevée le ferait. Il est vrai qu'elle n'est pas championne de la boucherie et femme fatale d'un monde autrement élevé que M. Koechlin. N'attends plus jamais rien de moi, comme je ne veux jamais attendre quoi que ce soit de toi."

Les ponts ainsi coupés, c'est l'argent que la mère de Renée envoie à sa fille qui permettra à Cravan de vivre. Il n'en aime pas moins sincèrement la "petite Renée" puisque, en 1912, il se montre toujours jaloux du malheureux Hayden et le met knock-out dans "Maintenant". Hayden a même l'honneur d'être le premier à subir les foudres du "critique brutal": "Si je parle d'abord de ce peintre, c'est que le chapeau de Madame Cravan a servi à sa confection, confection en vérité que ce tableau. Tout y est mal venu, sale, écrasé de cérébralité; je préférerais rester 2 minutes sous l'eau que devant ce tableau, j'étoufferais moins." ("Maintenant", n°4)

Et pourtant quelque chose devait lui plaire dans ce fameux "Portrait de Renée avec son chien Teddy", puisqu'il l'accrocha à la place d'honneur de son appartement du 29 avenue de l'Observatoire, et se fit même photographier assis en dessous du tableau.

Mais il faut distinguer le Cravan amoureux, qui se révèle tendre, délicat, pudique et le Cravan poète-pugiliste, grande gueule, provocateur, grossier.

Preuve extraordinaire de l'amour qu'il porte à Renée, il choisit d'abandonner le nom de ses parents, Lloyd, pour porter désormais celui du village où est née la jeune femme: Cravan.

Et il célèbre ce baptême en sonnant lui-même, devant Renée, pendant plus d'un quart d'heure, les cloches de l'église de Cravan.

Renée partage la vie du poète pendant sept ans. Elle le rejoint à Barcelone au début de 1916. Quand il part pour les Etats-Unis, il lui laisse ses chats siamois. Elle reçoit une carte de Séville, le 30 décembre 1916: "Ne sois pas triste puisque tu sais que tu viendras me rejoindre avant deux mois. Tu sais que je n'aime guère la société et que je serai bien content d'avoir mon vieux copain." Elle ne le reverra jamais.

A New York, Arthur a rencontré Mina Loy, une jeune femme qui n'aime pas plus la société que lui et qui le suivra jusqu'au Mexique. Pourtant, il va continuer à aimer Renée. N'a-t-il pas écrit: "Moi qui pourrais me tuer de plaisir; mourir d'amour pour toutes les femmes."?

De même que Cravan voulait "être à Vienne et à Calcutta, prendre tous les trains et tous les navires", qu'il ne pouvait "quitter ma funeste pluralité", choisir entre les âmes qui se disputaient son corps, il lui était sans doute tout aussi impossible de choisir entre deux femmes, de dominer l'amour fou qui le poussait et vers Renée, et vers Mina.

De New York, il envoie à Renée une photo de lui. Mais Renée a choisi de rentrer en France, aider sa soeur qui vient de perdre son enfant et dont le mari a été grièvement blessé au front.

Depuis le Mexique, où il vit avec Mina, Cravan continue de lui adresser "des lettres extraordinaires d'émotion et de poésie intense et contenue , des hymnes à la nuit aussi profonds et suaves que ceux de Novalis, et des illuminations fulgurantes aussi prophétiques et rebelles et désespérées et amères que celles de Rimbaud." (Blaise Cendrars, "La tour Eiffel sidérale")

En avril 1918, Renée reçoit une dernière lettre: Cravan la supplie de venir le rejoindre au Mexique.

Il a écrit cette lettre écrite quelques jours après son mariage avec Mina Loy.

"C'est vrai, et je ne pouvais m'empêcher de penser: mon vieux, quel drôle de coco, tu fais." ("Maintenant" n°5)

© Emmanuel Pollaud-Dulian
(Paris - octobre 1998)

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